Les manuels du Crédit Social parlent souvent de "juste prix.” Ceux qui ne sont pas très au courant interprètent cette expression comme signifiant un prix honnête, dont les éléments, prix de revient et profit, sont rigoureusement contrôlés et dont le chiffre final est fixé par le bureau de régie du Crédit Social. Rien de tel. Les facteurs qui jouent aujourd'hui, abondance ou rareté de la matière première, salaire de la main-d'œuvre, volume de production, facilités de distribution, profits, etc., continueront de déterminer les prix ; la concurrence continuera aussi d'intervenir, quoique dépourvue de son caractère actuel de violence sauvage.
Ce que les créditistes entendent par le juste prix, c'est "le prix du consommateur." Le consommateur est souverain chez nous. C'est pour lui qu'on produit. Si donc le prix de vente de la production totale du pays est représenté par 16 et que le pouvoir d'achat entre les mains des consommateurs est représenté par 12, on dira que le juste prix est, non pas 16, mais 12. Cela ne veut pas dire qu'il est injuste pour le marchand détaillant de demander 16 : c'est un prix équitable, mais le consommateur n'ayant que 12 devra quand même pouvoir acheter 16, puisque c'est pour lui qu'est faite cette production. N'est-ce pas logique ? Il est nécessaire que 16 lui soit laissé à 12.
Il est non moins nécessaire que le détaillant retire 16, car s'il ne retire que le 12 dont dispose le consommateur, il perdra le profit qui le fait vivre et peut-être plus.
C'est ici qu'intervient le mécanisme du Crédit Social. Le bureau de régie — dont les décisions ne dépendent d'aucun homme en particulier, pas même du ministre des finances ou du premier ministre, mais uniquement des faits de la production et de la consommation — ayant constaté que la production est 16 et le pouvoir d'achat 12, décrète un escompte universel de 4 pour 16, ou 25 pour cent, sur toutes les ventes au détail, d'ici qu'un nouvel état des faits nécessite un changement.
Dès lors, si une personne vient acheter un article de $4, elle ne le paiera que $3 ; pour $16 de marchandises, elle ne paiera que $12 ; pour $100, elle déboursera $75. Le marchand détaillant, sur présentation de ses pièces justificatives (factures, bordereaux, etc.) sera remboursé par le bureau local du Crédit Social du 25 pour cent qu'il n'a pas touché. Le bureau local, à son tour, tirera un chèque sur le bureau central d'Ottawa qui, lui, créera, par une inscription dans ses livres, la monnaie représentée par ce 25 pour cent. Il débitera d'autant le surplus disponible qu'il avait constaté et qu'il doit ainsi passer au consommateur à mesure des achats de celui-ci chez le détaillant.
Si, par exemple, il s'agit d'un poêle de $48, la dame qui l'achète paie $36, le détaillant reçoit $12 du bureau local, le bureau local reçoit $12 du bureau d'Ottawa, le bureau d'Ottawa émet ces $12 et diminue de $12 le surplus disponible. (Ces bureaux pourront très bien être les banques locales, moyennant arrangement, et la banque centrale du Canada pourrait agir au service du bureau d'Ottawa.)
Ces $12 seront de la monnaie créée d'un trait de plume, comme celle des banques d'aujourd'hui lorsqu'elles octroient des prêts ou avancent des découverts. Les $12 sont basés sur le poêle, sur une richesse réelle, non pas problématique, non pas future mais actuelle, vendue même. Est-il base plus saine ?
Cette transaction a financé le consommateur et, par lui, le distributeur puis le producteur. Les $12, sans passer par les mains du consommateur, ont produit exactement le même effet que si on les lui avait donnés pour cet achat. La nouvelle monnaie a profité au consommateur, qui peut ainsi acheter ; au marchand, qui trouve ainsi à vendre ; au producteur, qui écoule ainsi son produit ; à l'employé du producteur qui devra travailler à remplacer les stocks vendus. À qui a-t-elle nui ? Qu'on me le dise.
Il n'y a pas d'inflation possible dans la monnaie créée par l'escompte compensé ; l'inflation suppose plus de monnaie que de produits ; or cette nouvelle monnaie a été émise parce qu'il y en avait moins que de produits et n'a été émise que moyennant la présence d'un produit trouvant preneur.
Voilà pour l'escompte. Il équivaut, en réalité, à une augmentation du pouvoir d'achat au niveau de la production actuellement vendue. Il équivaut aussi à une augmentation, de 25 pour cent dans l'exemple donné, des salaires ou des dividendes qui composent le pouvoir d'achat.
Mais il y a des gens qui n'ont pas de pouvoir d'achat provenant de salaires. Ce peuvent être des malades, des vieux, des incapables, ou simplement des gens déplacés par l'introduction d'une machine. À quoi leur servirait un escompte de 25 pour cent s'ils n'ont rien ? Pourtant eux aussi comptent dans la société. Ce sont des consommateurs. C'est la consommation qui donne de la valeur à la production. À seul titre de consommateurs, ils méritent déjà considération. Comme êtres humains, ils ont aussi, non seulement le droit, mais le devoir de vivre. Comme membres d'une société organisée et riche, ils ont droit à leur part de l'héritage des générations passées, des acquisitions léguées à la société actuelle. Car, qu'on le sache bien, notre génération est héritière d'un actif réel immense. Le passif dont elle hérite aussi est un passif financier qui n'a pas sa raison d'être, qui ne serait pas s'il y avait concordance entre les faits réels et les faits financiers.
Nous reviendrons, dans le numéro de janvier, sur ces droits de tous les citoyens aux fruits de la production. Qu'il nous suffise de reproduire ici, avec à propos croyons-nous, cette phrase de Quadragesimo Anno :
"L'organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin, alors seulement qu'il procurera à TOUS et à CHACUN de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la société, ont le moyen de leur procurer."
L'organisme économique et social comprend beaucoup plus qu'un système monétaire, mais il reste que le système monétaire y joue un grand rôle. Le Crédit Social, qui se pique d'être approprié aux systèmes les plus sociaux, propose, comme seconde méthode d'émission de nouvelle monnaie, le dividende national, c'est-à-dire qu'il distribue à tous les citoyens une partie de l'excédent de la capacité de production sur le pouvoir d'achat. La somme ainsi distribuée est répartie entre tous également, quel que soit leur âge ou leur condition, qu'ils travaillent ou qu'ils ne travaillent pas. Ce n'est pas un secours direct, c'est de la monnaie nouvelle, qui n'est ôtée à personne.
Nous nous étendrons davantage sur ce sujet dans le prochain Cahier. Disons seulement aujourd'hui que cette combinaison de l'escompte-compensé et du dividende national nous paraît admirablement conçue. Sans le dividende, vous n'atteignez pas tous les consommateurs et vous ne réglez pas les problèmes posés par l'introduction des machines. Si, d'un autre côté, vous distribuez toute monnaie nouvelle sous forme de dividende, vous exposez à une affectation trop considérable des surplus aux biens de production, laissant des stocks de biens de consommation invendus et créant un chaos. Le double mécanisme du Crédit Social tend à maintenir un équilibre sain entre les biens de production et les biens de consommation sans avoir à intervenir par des mesures restrictives ou des réglementations cœrcitives.
L'escompte compensé assure, en effet, la vente de biens de consommation, liant à cette condition, en grande partie, le rehaussement du pouvoir d'achat. L'escompte compensé finance le maintien de la production, car dans le prix de vente figurent les allocations pour dépréciation. D'autre part, le surplus apporté par le dividende appelle une augmentation de la production tout en restant dans les limites de la capacité de production ; mais avant que cette capacité soit atteinte 100 pour cent, le producteur songe à agrandir. Le consommateur individuel qui bénéficie d'un dividende plus un salaire, et n'a pas besoin de tous ces revenus pour ses besoins actuels, est heureux, de son côté, de placer ses surplus, soit directement, soit par l'intermédiaire d'institutions d'épargnes et de prêts, dans le développement de la production. Plus tard, si l'entreprise réussit, il retirera des dividendes de ses placements ; ils s'ajouteront à son dividende national pour le soutenir lorsque son âge avancé l'invitera au repos.
Si l'escompte compensé finance, par le consommateur, la production actuelle, l'apport supplémentaire du dividende national finance, toujours par le consommateur, le développement de la production.
Sans cet apport supplémentaire, le développement de la production manquerait de fonds, car nous supprimons le banquier émetteur de crédits, qui crée une dette pour représenter une production de richesse. Sans l'apport de monnaie par le dividende, le producteur qui envisage un développement devrait ou hausser ses prix pour se faire un capital, ce qui le mettrait en mauvaise posture par rapport à ses concurrents, ou prendre sur ses profits, qui constituent son pouvoir d'achat de biens de consommation, mais il irait ainsi contre l'écoulement de ces biens.
Nous considérons ici l'ensemble. Chaque consommateur individuel est le maître absolu de son dividende et l'emploie exactement comme il veut. Pour l'augmentation de pouvoir d'achat que procure l'escompte compensé, il est évidemment forcé d'acheter s'il veut en bénéficier.
Il y aurait beaucoup d'autres considérations à faire sur la finance directe du consommateur et sur la finance du producteur par le consommateur, non plus par un prêteur-créateur d'argent qui étouffe tout le système dans son étreinte. Mais nous croyons en avoir assez dit pour montrer l'efficacité et la souplesse du Crédit Social au service de Sa Majesté le CONSOMMATEUR.