Il y a des personnes qui s'opposent au Crédit Social, malgré qu'elles soient frappées des beautés de cette doctrine. Elles n'ont pas assez de vigueur intellectuelle pour concevoir l'application pratique de ces principes nouveaux. La logique et la raison ne leur suffisent pas. Elles craignent des effets inconnus, des changements trop brusques, et elles s'embarrassent dans les contingences. Elles voudraient surtout voir et palper, comme le Saint-Thomas de l'Évangile. Elles pensent qu'il faut toujours, même dans le domaine économique, faire d'abord un gabarit, ou un modèle réduit, avant d'édifier une œuvre harmonieuse et durable.
Pour ces personnes timorées, et pour tous les sceptiques, les railleurs, les lunatiques de la finance orthodoxe, nous présentons l'exemple suivant. C'est un cas d'expérience vécue, une entreprise authentique de crédit social couvrant l'univers entier, et donnant satisfaction à tous, petits et grands, pauvres et riches, ignorants et savants,
"Du plus petit au plus grand,
Du moussaillon au commandant."
Comment ! Le Crédit Social existe ! ! Mais dans quels pays du monde ? Quels sont les résultats de cette expérience ?
Eh oui ! Il existe vraiment et fonctionne admirablement même ! Non pas chez les peuplades primitives, ni chez les tribus sauvages mais dans les pays les plus civilisés, chez les peuples les plus raffinés de la terre. Tous en jouissent sans s'en douter, d'abord parce qu'il ne touche qu'une partie de notre vie économique, puis parce que son fonctionnement est tellement naturel et harmonieux qu'on ne le remarque pas ; de plus, il porte un autre nom. Il s'appelle le Service des Postes.
Le Crédit Social veut la monnaie libre, proportionnée aux besoins des consommateurs et suivant le volume de la production. Il veut que la production soit orientée suivant les désirs des consommateurs. Il exige que la fin de la production soit atteinte par la satisfaction des besoins du consommateur.
Le Ministère des Postes dans chaque pays civilisé imprime une monnaie libre, qui coûte presque rien ; il exécute les ordres des consommateurs à la lettre (c'est le cas de le dire). Le volume de la monnaie postale est aussi toujours en proportion de la production de chaque pays, et orientée par les besoins des consommateurs.
Le timbre-poste est un véritable billet promissoire émis par l'État. Il peut servir de monnaie ordinaire pour les menues transactions, et on l'emploie à cette fin dans bien des cas. La promesse de payer n'est pas inscrite sur chaque timbre, comme dans le cas des billets. Le timbre est plus petit, plus économique, et la promesse de payer est tout simplement inscrite dans les règlements de la Poste. On peut résumer cette promesse comme suit :
À demande, et suivant les ordres précis du porteur, le Service des Postes transportera des matières postales pour la valeur indiquée conformément aux règlements et aux tarifs alors en vigueur.
Sig. : Le Ministre des Postes.
Les Postes donnent un service au prix coûtant ; au lieu d'un dividende ou d'une ristourne périodique, le client retire un bénéfice immédiat sous forme de tarifs réduits.
Le Crédit Social, c'est la coopération de tous les citoyens sous la direction du gouvernement ; c'est un crédit coopératif à base légale.
Le Service postal, c'est également la coopération de tous les citoyens, chacun payant sa quote-part des frais suivant les services exigés, pour le bénéfice de toute la collectivité, et sous la direction d'un ministère du gouvernement. Le timbre-poste est un instrument de crédit qui tire sa valeur de la garantie du gouvernement, du crédit de tout le pays.
Le capital social tout entier garantit la valeur des timbres, et assure la régularité, la fidélité et la sûreté du service des Postes.
C'est justement ce que veulent les Créditistes, mais dans tous les domaines de notre vie économique.
Supposons maintenant que le ministre des Postes du Canada, au lieu d'imprimer des timbres comme il l'a fait, ait imprimé des obligations pour obtenir des timbres de la Banque, et qu'il ait à payer sur ces obligations le même taux d'intérêt que celui des obligations du ministère des Finances. En calculant avec soin l'intérêt composé sur les recettes postales de chaque année depuis la Confédération, nous arrivons à une dette de plus de deux milliards. Car il faut remarquer que, chaque année, le ministre des postes émet des timbres pour une somme de près de $40,000,000. Cette émission était beaucoup plus faible dans les débuts, vu qu'elle a toujours été faite suivant les besoins de la consommation, mais à cause de l'intérêt composé, les premiers budgets de la Poste nous coûteraient maintenant encore plus que les plus récents.
Parce que le ministre des postes a pratiqué les principes du Crédit Social, il n'a pas de dette. Est-ce un rêve ? Est-ce une utopie ?
Il y a mieux encore. Considérons attentivement les tarifs de la poste. Supposons qu'un des ingénieurs de la finance orthodoxe, en cherchant à trouver du travail, offre à un chômeur d'aller porter une lettre d'Ottawa à Vancouver pour trois sous ou de porter un petit colis en Afrique-Sud pour cinq sous ! Le chômeur pourra certes refuser ces offres généreuses de travail, même s'il doit être traité de fainéant, de paresseux, etc. Il y a cent ans, on aurait traité de fou, d'utopiste celui qui aurait prétendu que la chose était possible grâce à la coopération sociale, grâce au développement du capital social, aux méthodes d'administration scientifique, aux perfectionnements mécaniques de tous genres.
Ce que fait le Ministère des Postes, les autres ministères pourraient le faire, soit directement, soit par l'entremise du Ministère des Finances.
Voyons encore un autre aspect. Bien des gens croient que l'application du Crédit Social n'est pas possible à cause de nos relations commerciales avec les autres pays. Il suffirait d'étudier attentivement nos relations postales avec les pays étrangers, et d'appliquer les mêmes méthodes de coopération.
Pourtant, à part la conformation physique, il y a une petite différence entre la monnaie des Postes et celle des Finances. Le billet promissoire du ministre des Postes est toujours honoré, puis oblitéré comme un vulgaire chèque. Le billet promissoire du ministre des Finances n'est jamais honoré ; il est simplement remplacé par un autre billet. Respect de la parole donnée, véritable sainteté des contrats et indépendance économique dans le premier cas ; misère et esclavage dans le deuxième cas.
Ce contraste nous rappelle la parabole de l'Enfant Prodigue. Un des fils s'est contenté de faire valoir le domaine paternel ; il est resté dans la monotonie du travail humble mais efficace, vivant heureux et ignoré, mais sans dette, sans déshonneur. L'autre a cherché les aventures : il a gaspillé son héritage loin du capital social de la famille, et il est tombé dans l'abjection : il fut réduit à vivre parmi les pourceaux.
Le ministre des Postes est l'enfant fidèle qui exploite sagement et sans bruit le domaine social confié à ses soins ; il se gare des dettes et se préoccupe surtout de bien servir ses clients, les consommateurs de sa monnaie. Le ministre des Finances cherche les aventures sur les marchés divers ; il se vautre dans l'orgie des taxes, dans l'abjection des dettes, et se complait dans le paiement des intérêts aux financiers. Il a gaspillé son héritage, et ses administrés sont pour la plupart dans le dénuement, dans la misère. Est-ce à cause d'une disette, d'un cataclysme ? Mais non, la misère du peuple est plutôt due à sa conduite malheureuse, à ses aventures financières. Il y a une abondance extraordinaire de biens utiles que le peuple voudrait consommer ou utiliser. Mais le ministre des Finances est enchaîné à sa tâche néfaste. Il est même plus esclave que l'Enfant Prodigue : celui-ci pouvait au moins conduire ses pourceaux, tandis que le ministre des Finances est mené par ses financiers.
Pour convertir l'enfant prodigue du ministère des Finances, il faut le Crédit Social. Et il est aussi facile d'appliquer cette doctrine que d'appliquer les règlements postaux. Le fonctionnement du service des postes est un exemple vivant du Crédit Social appliqué. Il suffit d'étendre le principe de la monnaie libre à tous les ministères de notre gouvernement, même s'ils doivent adopter la forme du timbre pour calmer la conscience timorée de certaines personnes. Que les bénéfices soient répartis sous forme de dividende ou de tarifs réduits, peu importe. Mais le dividende aurait un avantage spécial. Il permettrait à toutes les familles du pays de tuer le veau gras pour célébrer l'abolition du veau d'or, la disparition de la piastre-dette.
par JOS.-ÉLIE BÉLANGER, B.A., M.D., L.C.M.O.
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Les préparatifs de guerre offrent actuellement le moyen le plus efficace de soulager le chômage, en attendant que la guerre permette de le supprimer radicalement.