Deux provinces de Québec

Louis Even le dimanche, 01 septembre 1940. Dans Divers

La ménagère nationale — Assez du gramophone, au tour de la caisse enregistreuse !

Sans trop de minutie dans notre analyse, au cours de notre propagande créditiste en Canada français, nous croyons avoir constaté l'existence de deux provinces de Québec bien distinctes.

L'une pense encore, prie encore sans doute, croit encore qu'il faut qu'elle s'aide pour que le Ciel l'aide. Celle-là se dérange pour entendre exposer une question qui, pour être du domaine économique, est tout de même aussi pour beaucoup du domaine social et doit se régler dans le domaine politique.

L'autre province de Québec est distraite, ou apathique, ou abrutie. Celle-là ne fait pas un pas pour s'instruire, ne donne pas une minute de réflexion aux problèmes qui l'affrontent, ne cherche aucune solution, ne semble avoir souci de rien. Ce qui ne l'empêche pas de gémir, de se plaindre, de se lamenter quand les choses ne vont pas à son goût.

La première est capable d'efforts, de sacrifices, d'étude et d'action.

La seconde est lâche, mentalement paresseuse et ne se complaît que dans la flânerie, le théâtre, la taverne et les jeux.

La première peut initier un courant nouveau, en connaissance de cause, parce que son jugement, éclairé par l'étude, précède sa volonté.

La seconde ne sait que suivre. Il lui arrivera accidentellement d'être entraînée par un bon courant, un peu à son insu. Le plus fréquemment, elle vogue au gré de ceux qui font le plus de bruit ou qui flattent le plus ses passions.

L'une et l'autre province de Québec votent également sur la chose publique et le vote automate de la seconde, où le nombre ne manque pas, noie trop souvent le vote intelligent de la première.

Évidemment VERS DEMAIN recrute ses lecteurs dix fois plus vite et dix fois plus facilement dans la première province de Québec que dans la seconde.

Les deux provinces de Québec ne sont pas rigoureusement limitées par des frontières déterminées. On trouve la province qui pense, qui prie, qui lit, qui étudie, qui se meut encore pour un idéal, un peu dans toute la province géographique de Québec. Comme on trouve un peu partout, de l'océan à l'Outaouais, celle qui déconcerte les apôtres sociaux.

Mais nous pouvons tout de même dire que, selon notre expérience, la province de Québec où l'on ne perd pas trop son temps fleurit surtout à l'est des Trois-Rivières, à l'est de Drummondville, autour et à l'est de Sherbrooke. On la trouve en Abitibi, au Lac St-Jean, dans Chicoutimi, dans le bas du fleuve aussi loin que nous avons eu l'occasion de la chercher. Ajoutons l'îlot du comté de Hull.

La province de Québec où l'apostolat a plus de mérite que de succès est plutôt située dans la région de Montréal ; elle s'étend assez loin vers l'est, le sud, l'ouest, et même le nord de la métropole. Avec des exceptions, évidemment ; mais la remarque générale demeure.

Pourquoi ? L'énumération, le classement, l'appréciation des facteurs qui, selon nous, peuvent contribuer à la formation de ces deux mentalités différentes exigeraient une longue étude.

Nous ne manquerions pas de signaler l'influence des journaux. L'Action Catholique accomplit un travail que pas un autre journal - - pas même Le Devoir - - n'accomplit. Les journaux montréalais ont surtout développé la partisannerie politique et le jaunisme à sensation. Oserions-nous dire aussi que nous trouvons le clergé de la région québecoise socialement plus dévoué, moins bourgeois que celui de la région montréalaise ?

Il y a encore le caractère plus canadien-français dans la première, plus cosmopolite dans la seconde. Plus forte proportion rurale dans la première ; agglomérations ouvrières prépondérantes dans la seconde - - et il serait intéressant de montrer la supériorité de la mentalité paysane sur la mentalité ouvrière.

Blesserions-nous des susceptibilités ? Chacun a le droit de se placer parmi les exceptions... et de nous pardonner ces réflexions.

Louis EVEN

Louis Even

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