Des lecteurs nous questionnent

le lundi, 01 février 1937. Dans Février

Dans votre cahier de janvier, vous parlez d'un héritage qui appartient à tout le monde. J'ai de la difficulté à croire qu'un ivrogne, paresseux, fils peut-être d'un père de même calibre, soit héritier au même titre qu'un homme sobre et laborieux appartenant à une lignée d'hommes qui ont réellement contribué à enrichir l'humanité.

L'héritage culturel n'est pas un héritage familial, passant de père en fils, mais un héritage social, de génération à génération. L'homme laborieux dont vous parlez, en plus de l'héritage social, touche la rémunération de son travail ; son père, de même. Si ce dernier a laissé un héritage personnel, son fils en bénéficie personnellement.

Le dividende de l'héritage culturel ne touche pas aux salaires ni aux épargnes, il donne le moyen de distribuer la richesse aujourd'hui gaspillée, sabotée ou délibérément supprimée..

Quant à l'ivrogne paresseux, que voulez-vous faire de lui ? Vous ne pouvez lui ôter la vie. Que vous le mettiez en prison ou ailleurs, vous le nourrissez, vous l'entretenez ; on le fait aujourd'hui en prélevant sur le revenu de ses concitoyens, sous le régime Crédit Social en prélevant sur la production non distribuée.

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La prospérité n'est-elle pas une question de vélocité de la monnaie, plutôt que de sa quantité ? Il me semble que l'économiste d'Oxford dit assez vrai quand il assure qu'avec $10 on peut acheter $1000.

Essayez donc. Supposez que la société se compose de dix hommes, chacun possédant une richesse marchande (des produits) valant $100. Cela fait $1000 de produits. L'un des hommes a $10, et c'est tout l'argent en circulation, Faisons-le circuler aussi vite que nos hommes peuvent consommer les produits.

Le premier achète du second pour $10 de marchandises ; le second pour $10 de marchandises du troisième, etc. ; le dixième, pour $10 de marchandises du premier, le circuit se répétant avec le degré de vélocité qu'il vous plaira de désirer. Après dix tours, le dix dollars aura, en effet, fait vendre et consommer les $1000 de marchandises, mais sans rien remplacer. Résultat : il restera dans cette société $10 seulement pour remplacer les $1000 de marchandises ! !... Prospérité "oxfordiste" ? Heureusement que les choses ne se passent pas ainsi.

Si les biens consommables doivent se remplacer, si l'industrie ne doit pas faire banqueroute, dix dollars de pouvoir d'achat ne peuvent déplacer que dix dollars de production.

La monnaie, en réalité, va et vient plutôt qu'elle ne circule ; elle va du consommateur au producteur en passant par le distributeur, et du producteur au consommateur sous forme de salaires et de dividendes.

Mais il peut très bien y avoir déplacement du pouvoir d'achat avant qu'il s'exerce sur des biens consommables. C'est le cas, que nous citions le mois dernier, de l'homme qui donne $2.00 à son médecin pour services professionnels ; le médecin lui-même, au lieu d'acheter pour $2.00 de marchandises, pourra consulter un avocat pour $2.00 ; l'avocat pourra consulter son propre médecin pour $2.00 ; celui-ci faire donner des leçons de piano à son fils pour $2.00, et, pour ne pas aller plus loin, la pianiste va s'acheter gants et parapluie pour $2.00. Les deux dollars, en achetant des services, retardent leur application à l'achat de biens consommables. Cette transmission du pouvoir d'achat ne fonctionne guère dans une époque de dépression, alors que le pouvoir d'achat trop limité s'exerce plutôt directement sur les nécessités essentielles. Ce qui explique que les professionnels ressentent vite, et vivement les effets d'une crise industrielle.

Le Crédit Social envisage ce problème. Il permettra la multiplication des services en fournissant un pouvoir d'achat suffisant pour compenser le retard occasionné par l'intervention des services. Il améliorera ainsi le niveau de vie au point de vue social, hygiénique, éducationnel, artistique, etc. La limite est évidemment posée par la capacité de l'industrie à fournir les biens. Vous ne pouvez, par exemple, imaginer une société où tout le monde vivrait de services professionnels, personne ne travaillant à produire les choses nécessaires à la vie. Mais vous pouvez très bien imaginer une société où l'introduction des machines et des procédés scientifiques dans la production permet beaucoup plus de personnel dans les services sociaux, hygiéniques et éducationnels, au lieu d'aboutir, comme aujourd'hui, à créer une armée de chômeurs et de faméliques. Le progrès bénéficierait à l'humanité au lieu de la punir. Tout dépend d'un peu plus de logique dans le système monétaire.

Et s'il y a beaucoup de gens qui se contentent du dividende, qui ne veulent pas travailler, ils vont être à charge aux autres, ils vont contribuer à baisser le chiffre du dividende. Est-ce juste ?

Cette condition, ce "si" n'arrivera pas, si j'ai une idée juste du caractère canadien. Il y aura certainement des gens mous, paresseux, ou mentalement faibles, qui se classeront dans la catégorie que vous mentionnez, mais pas plus qu'aujourd'hui ; et aujourd'hui, on les soutient à même les revenus déjà insuffisants des autres, tandis que sous le Crédit Social, on les soutiendra à même les surplus actuellement inertes ou détruits.

Cependant, si le mal dont vous craignez les ravages se généralisait, les dividendes disparaîtraient vite, de sorte que le mal porte son remède avec soi. D'ailleurs rien n'empêche le gouvernement du jour de prendre des mesures préventives : c'est une affaire d'administration, non de système. Rien n'empêcherait, par exemple, le gouvernement d'exiger comme condition de participation au dividende, outre la citoyenneté, la disposition de la part des hommes employables à servir la production dans une ligne ou une autre. Mais encore une fois, nous doutons fort qu'il y ait lieu de recourir à de telles mesures.

Nous croyons, au contraire, que la réception d'un dividende, provenant de ce que la production a été bonne, encouragera le travailleur. Un cultivateur va-t-il laisser sa terre inculte parce qu'elle lui rend davantage quand il la cultive ? Nous croyons aussi que ce qui déprime le plus de quelle étoffe vont être nos travailleurs tenus tout un lustre dans le chômage forcé ? Et nos jeunes gens qui ont terminé leurs études depuis un, deux, trois, quatre ans ou davantage et restent toujours à la porte du travail ?

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Un prisonnier, qui est déjà entretenu par l'État quant aux nécessités essentielles de la vie, touchera-t-il son dividende en plus ?..

Un prisonnier est un homme en pénitence et l'État peut très bien, et avec beaucoup de justice et d'à propos, légiférer pour que les dividendes aux prisonniers soient touchés par les institutions où ils font leur stage d'emprisonnement. Cela soulagera d'autant les charges publiques résultant de la mauvaise conduite de quelques individus. Évidemment, les membres de la famille du prisonnier continuent de toucher leurs propres dividendes.

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