Chronique Médicale - X - Le Cancer et les Vitamines

le mardi, 15 octobre 1940. Dans Chronique médicale

Dr Jos.-Élie BÉLANGER, B.A., M.D., L.C.M.C.

I. Les vitamines

Nous en sommes enfin rendus à l'étude des vitamines et de leurs effets sur l'organisme. J'ai déjà publié ailleurs les caractères des vitamines qui peuvent être utiles dans le traitement du cancer. Nous reverrons ces caractères, et j'y ajouterai ce qui a été découvert de nouveau depuis. Je donnerai aussi en passant les principales applications des vitamines pour le maintien de la santé en général.

Qu'est-ce que les vitamines ? En 1915, un an seulement après l'invention de ce mot, cette question m'a été posée, et j'ai dû improviser la définition suivante : "Les vitamines sont les éléments vivants des aliments." Je n'ai pas trouvé de meilleure définition depuis cette date. On pourrait la rendre plus complète en disant : les vitamines sont les éléments vivants des aliments et des remèdes, puisque nous pouvons maintenant donner des vitamines sous forme de tablettes et d'injections. Mais si l'on considère les remèdes comme l'aliment des malades, la définition reste vraie.

Le nom de vitamine a été proposé par Funk en 1914 pour désigner des facteurs essentiels à la santé et même à la vie, et ayant une formule chimique apparentée aux aminés. L'histoire des vitamines se trouve intimement liée à celle de la vitamine B1, la première qui ait été découverte. J'emprunte au Journal suisse de Médecine (1940, no 8/9) l'historique des vitamines B :

1896 : Substance antibéribéri (Eijkman). Le béribéri est une maladie de déficience (Grijns).

1914 : Funk propose le nom de vitamine.

1916/20 : La nomenclature alphabétique est adoptée peu à peu.

1926 : Vitamine B1, antinévritique ; premiers cristaux (Jansen et Donath). Vitamine B2, anti-pellagreuse (Goldberger).

1928 : Les pigeons ont besoin non seulement de vitamine B1, mais aussi de B3 (Williams).

1929 : Les pigeons ont besoin d'un facteur B5 (Peters). Les rats ont besoin d'un facteur B1 (Reader).

1930 : Facteur antipellagreux des rats, B6 (Chick).

1931 : La vitamine B1 contient du soufre (Windaus). Vitamine H dérivée du facteur complexe B (Gyorgyi).

1933-35 : Jansen propose de nommer la B1 aneurine. Préparation à l'état pur et synthèse de la lactoflavine ou B2 (Kuhn, Karrer).

1936 : Détermination de la constitution chimique de la B1.

1937 : Synthèse de la B1 (Williams, Bergel et Todd, Andersag et Westphal). La nicotinamide (dérivé de la B) guérit la pellagre chez l'homme. La lactoflavine ou B2 est un facteur de croissance.

1939 : B6 est obtenue à l'état pur (adermine).

1939 : Synthèse de l'adermine.

Des travaux aussi importants ont été faits pour les autres vitamines, car ces autres facteurs essentiels portent aussi le nom de vitamines, malgré que leur formule chimique soit bien différente des aminés. L'on voit dans ce nom l'influence des théories chimiques pour exprimer la valeur des aliments. Les Allemands surtout ont appliqué la théorie chimique en estimant le nombre théorique de calories dans chaque aliment, sans égard à leur digestibilité. Et la faillite de la science allemande s'est trouvée soulignée une fois de plus durant la grande guerre sous la forme du pain KK, dont la valeur réelle s'exprime très bien en prononçant ces deux lettres à la française.

D'ailleurs, depuis la monstrueuse mystification du sérum Friedland contre la tuberculose vers 1912, j'ai vainement cherché une invention allemande originale qui soit strictement conforme à la vérité ou qui ait été réellement utile à l'humanité. Les Allemands s'ingénient surtout à piller les inventions des autres nations, comme le prouve leur armée d'espions dans tous les pays pour s'occuper du vol des documents et des inventions originales. L'Allemand a surtout le don de l'imitation et de l'adaptation. J'ai été tellement indigné de l'attentat Friedland contre la probité médicale que je suis peut-être mauvais juge. Il convient de protester en toute occasion contre ce lâche attentat, car lorsqu'un médecin affirme avoir constaté un fait nouveau, découvert une orientation nouvelle de la thérapeutique, la science médicale du monde entier part de ce point pour faire de nouvelles conquêtes. Si les faits affirmés sont faux, comme dans le cas du sérum Friedland, toute confiance disparaît pour longtemps, et les recherches subissent des retards déplorables. Les lecteurs me pardonneront cette digression nécessaire dans les circonstances actuelles, car il y a beaucoup trop de nos compatriotes qui admirent béatement, souvent sans la comprendre, la prétendue science allemande, et voudraient soumettre les cerveaux latins à la gymnastique inférieure de la culture allemande.

(à suivre)

(Reproduction interdite)

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