J’ai publié en octobre 1938 un article intitulé : “La cure du Cancer par les Vitamines”, et les quelques centaines de lettres que j’ai reçues m’ont révélé une autre cause générale du cancer, cause extrinsèque, mais vraiment efficiente. Cette cause agit également dans le cas des autres fléaux modernes, comme la tuberculose et le diabète, et c’est la misère profonde dans laquelle gémit la plus grande partie de notre peuple.
Sans doute, il arrive que certains privilégiés de la fortune sont atteints par le cancer, mais dans ces cas toute la puissance des découvertes modernes est mobilisée pour tenter de guérir ou du moins de soulager les douleurs du patient. Il en résulte parfois une survie importante, souvent une atténuation des symptômes et des douleurs et un relèvement du moral du malade.
Mais pour la masse des cancéreux, l’absence de moyens pécuniers leur fait remettre à plus tard tout examen du mal, ce qui amène fatalement et rapidement l’issue redoutée. Nos services hospitaliers font ce qu’ils peuvent, mais les traitements actuellement usités exigent, pour être utiles, d’être employés dès le début du mal.
Aussi voyons-nous la courbe ascendante des décès par les tumeurs, plus ou moins malignes suivre de près les graphiques de la crise économique, de la misère du peuple. Suivant l’expression du vénéré pape Pie XI, la vie
“est devenue horriblement dure, implacable, cruelle.”
La misère engendre une foule de maux, et les cancéreux contribuent à prouver que notre régime économique est un régime qui tue. Non seulement les cancéreux voient leur mal devenir implacable à cause des conditions économiques, mais de plus ces mêmes conditions de vie sont une cause directe de l’augmentation du cancer, comme nous le verrons plus tard.
Une autre cause indirecte du retard apporté au traitement approprié du cancer, c’est la somme extraordinaire de travail que tous les médecins doivent accomplir, s’ils veulent vivre et faire vivre leur famille. Sans cesse harassés par le souci du pain quotidien, travaillant jour et nuit et donnant gratuitement la plus grande partie de leurs honoraires, ils n’ont presque jamais le temps de faire des recherches, de pousser leurs études à fond, de compiler des statistiques, ni même de prendre des notes. Ils sont même parfois obligés d’engager quelqu’un pour tenir leurs comptes en ordre.
Pourtant, ce sont eux qui pourraient le mieux trouver les causes immédiates et éloignées du cancer. Les travaux de laboratoire ne peuvent remplacer la clinique à domicile, les observations au chevet des malades et dans leur ambiance. Ces travaux servent à confirmer un diagnostic, à préciser les variétés et les classes de tumeurs, à constater spécialement les effets de certaines modalités thérapeutiques, mais les véritables recherches devraient originer chez les praticiens, en un mot revenir d’abord à ceux qui font de la médecine générale.
À cause de notre régime faux, c’est tout le contraire que nous voyons : les recherches sont dévolues à des fonctionnaires qui sont parfois portés à restreindre leur vision à certaines modalités spéciales, à confiner leur traitement à certaines pratiques officielles, à accepter comme vérité unique les indications données par certains appareils plus ou moins coûteux. Loin de moi l’idée de vouloir diminuer leur mérite, mais il me semble y avoir défaut de liaison entre les praticiens et les fonctionnaires de plus en plus nombreux de la médecine officielle. L’étatisation de la médecine fait des progrès tous les jours, et le dévouement admirable de nos médecins devient de plus en plus héroïque.
Une revue médicale nous affirmait dernièrement, en se basant sur une enquête sérieuse, que les 1,500 médecins de la ville de Montréal donnent annuellement au moins $3,000.00 chacun, alors que souvent ils n’ont pas cette somme pour soutenir leur famille. Je puis affirmer que mes confrères des autres villes et de la campagne en font au moins autant, et je suis heureux de rendre ce témoignage de leur dévouement inlassable. Mais ce surcroît de travail leur enlève un temps précieux qui pourrait être consacré aux études dans divers domaines, et je vois dans ce surcroît de travail une cause indirecte du retard apporté à la solution de la cure du cancer.
Je termine cette première chronique par la question suivante : Dans l’état actuel de la science médicale, la cure du cancer est-elle possible ? Je n’hésite pas à répondre dans l’affirmative : oui, le cancer est curable dans la grande majorité des cas, et même on peut prévenir le cancer. L’état des organes du malade, leur degré de fonctionnement ou d’usure établissent les conditions de la cure, et c’est ce que nous verrons dans les chroniques qui suivront. Reproduction interdite.
Dr Jos.-Élie BELANGER