Vol.1, No.1 p.1 à 32
Ces "Cahiers du Crédit Social" se présentent sous la tenue la plus sobre, j'allais dire la plus rudimentaire qui puisse être. Pas de couverture, pas de couleur, pas même un point de fil métallique pour retenir les feuilles ensemble. On dirait, comme leur nom l'implique d'ailleurs, les simples sections d'un livre à relier — et qui les empêche d'être cela ?
Le premier cahier finit à la page 32 et le second commencera à la page 33. Conservez-les, vous aurez un volume de 384 pages au bout d'un an.
Mais pourquoi cette simplification extrême de la forme ? Pour les mettre à la portée de toutes les bourses. Pour que ces messagers pénètrent dans les foyers les moins fortunés, où ils parleront au pauvre de l'héritage qu'on lui cache et qui est à lui ; où ils exposeront et dénonceront les forces égoïstes, méchantes et criminelles qui le tiennent dans la privation à portée de richesses qui sont sa propriété. Richesses dont il pourrait jouir sans spolier ou appauvrir personne. Il suffit, mais il faut, que le peuple sache pour qu'il brise les chaînes qui le retiennent dans la pauvreté au sein de l'abondance.
Ces Cahiers viennent à leur heure. Plus tôt, on les eût sans doute égorgés dès leur berceau ; quelques gramophones de la Finance les eussent signalés comme un véhicule de socialisme ou de communisme. Cette légende du "Crédit Social, doctrine dangereuse" est à peu près tombée dans la province de Québec, grâce aux articles autorisés du Révérend Père Lévesque auxquels il est fait allusion dans ces pages. C'est un grand pas de fait, au moins dans les milieux où circule "l'Action Catholique."
On constate de toutes parts l'envie de se renseigner sur ce Crédit Social dont la doctrine, toute différente qu'elle soit des clichés auxquels on nous a longtemps habitués, répond en tout aux exigences du sens commun. Et de voir que les contrôleurs de la monnaie pointent vers lui leurs batteries, porte l'observateur à soupçonner dans ce nouveau venu plus qu'un simple aventurier.
Je n'ajouterai rien. Au lecteur de juger ces Cahiers ; à lui aussi, s'il en aime la sève, même sous une écorce rugueuse, d'assurer leur vie en travaillant à les répandre.
LOUIS EVEN
Le premier numéro de ces Cahiers mensuels est marqué octobre ; nous le sortons des presses dès la fin d'août, justement parce que c'est un premier numéro : il faut qu'il se présente, il a bien des portes à faire !
Le meilleur moyen de s'assurer la collection complète des Cahiers, c'est de prendre un abonnement à partir du premier numéro, au prix de 50 sous par an. Adressez toute communication concernant les "Cahiers du Crédit Social" à LOUIS EVEN, Gardenvale, P.Q.
Ces deux mots ne sont nouveaux pour personne. Pas d'argent dans le public, pas d'argent dans le trésor municipal. Les provinces ne savent plus où taxer pour trouver des fonds. Le fédéral lui- même se déclare impuissant à rencontrer tous les besoins.
Six cent mille travailleurs au moins sont sur le pavé au Canada. D'autres n'ont d'emploi que la moitié ou le tiers du temps régulier, et combien parmi les mieux favorisés du sort touchent des salaires de simple subsistance !
Siècle de lumière, siècle de machine, siècle de progrès !
Les souffrances, la privation, le souci, l'inquiétude du lendemain, le mécontentement, la défiance se lisent sur les fronts. Qu'y a-t-il donc ? Guerre ? Famine ? Disette ? Tremblement de terre ?
La terre ne produit-elle plus ? Les usines ne peuvent-elles plus obtenir de matière première, ou de force motrice ? Les mines sont-elles épuisées ? Nos forces hydrauliques disparues ? Nos rivières desséchées ? Où est-ce la main d'œuvre qui fait défaut ? Mais ils sont six cent mille qui frappent aux portes des chefs d'industrie et demandent la permission de gagner leur pain à la sueur de leur front ! Et les portes restent closes : Nous ne pouvons vous employer, parce que nous ne pouvons vendre nos produits, le consommateur n'a pas d'argent. Pas d'argent !
Qui osera dire : "Pas de produits ! Vous, mère de famille, si vous avez donné la dernière demi-ration à vos chers enfants ce matin et que vous êtes vous-même restée à jeun, c'est que le Canada n'a plus de blé, ou que le meunier ne trouve plus d'employé, ou que le boulanger ne veut plus travailler !" Pareil langage ferait hausser les épaules ou lever le poing. Ou qui, en voyant passer ces enfants et ces adultes aux chaussures plus qu'usées, aux vêtements de misère, blâmera nos éleveurs, nos tanneries, nos filatures, nos confections ? Considérez maintenant les taudis qui stigmatisent nos villes : où donc sont les maçons, les charpentiers, les peintres ? Mais eux-mêmes logent dans ces taudis ; leurs bras sont liés, non pas faute de ciment, de bois ou de peinture, mais faute d'argent !
Nous pourrions nous étendre sur toute la ligne, sortir aussi du simple domaine du vivre et du couvert, parler des malades qui gardent leurs souffrances quand des médecins capables de soigner doivent eux-mêmes recourir à la charité publique, faute de clientèle ; entrer dans le champ de l'instruction, où des personnes compétentes, de l'un et l'autre sexe, sont prêtes à dispenser l'enseignement, où ceux qui désirent en bénéficier ne manquent pas, mais où élèves et professeurs, tout comme auteurs et imprimeurs de manuels, se heurtent toujours au même obstacle : pas d'argent !
Se nourrit-on d'argent ? S'habille-t-on d'argent ? L'argent préserve-t-il de la chaleur et du froid ? Traite-t-on les malades avec l'argent ? Est-ce l'argent qui instruit les ignorants et forme des spécialistes ? L'argent est-il une richesse ? (Le mot argent, ici, est évidemment employé dans son sens général ; il ne s'agit pas seulement du métal blanc, mais de tout ce qui sert de monnaie.)
Si la monnaie n'est pas la richesse, mais un simple moyen de la distribuer, va-t-on soutenir qu'elle remplit son rôle aujourd'hui ?
***
Mais, vont dire ceux de nos lecteurs qui n'ont pas eu jusqu'ici l'occasion d'étudier la question monétaire, on n'y peut rien. On n'y peut rien ? L'argent est-il une récolte qu'on cueille sur les arbres, ou qu'on moissonne dans les champs, qui dépend du soleil, de la pluie et des forces de la nature ? Ou l'argent est-il un don du ciel dont la quantité échappe à la volonté ou aux désirs des hommes ? Oh ! je sais qu'on a tenu le public dans l'ignorance absolue au sujet de la monnaie : c'est une sorte de chose mystérieuse que le profane doit vénérer et dont il doit s'abstenir de pénétrer les secrets. C'est ce qui a fait la force des maîtres de la finance. Ces sinistres farceurs ligotent les mains des particuliers et des nations, si bien que l'homme civilisé, gémit, pauvre, au milieu de l'abondance ; les biens dont il a un besoin pressant sont à portée de sa main, il peut les multiplier encore, mais il n'a pas le droit de les prendre. Il lui faut du pain, des chaussures, des vêtements, un abri, des remèdes, des services ; mais il n'a pas le droit de produire du pain, de fabriquer des chaussures ou des vêtements, de construire des maisons, de donner des services médicaux, professionnels ou sociaux, car les maîtres de la monnaie, les fabricants de la monnaie tiennent in mordicus à la rareté de l'intermédiaire d'échange.
N'allez pas conclure de cette critique que le Crédit Social, qui sera exposé dans ces Cahiers, prône l'inflation. Ce mot d'inflation est jeté à la tête du Crédit Social par ceux-là mêmes qui pratiquent alternativement l'inflation et la déflation au grand détriment du pauvre public et pour leur profit personnel. Le Crédit Social n'est ni inflation ni déflation, mais équilibre mathématique et automatique. Ceux qui disent le contraire ou ignorent ses principes ou sont de mauvaise foi — souvent les deux.
Terminons cet article par une petite histoire, un conte si vous voulez, mais propre à orienter vers un nouveau jour les idées de ceux à qui l'on a fait croire que la crise qui sévit depuis plus de six ans est un phénomène inévitable.
***
Un certain continent éloigné d'ici, que ni vous ni moi n'avons jamais visité parce qu'il semble perdu pour le géographe moderne, jouissait de richesses naturelles abondantes et, sans posséder nos machines et nos connaissances scientifiques, les habitants savaient tout de même en tirer parti. Climat favorable, bon régime de pluies, forêts giboyeuses en faisaient une sorte de paradis terrestre. Mais — car où n'y a-t-il pas un mais ? — les peuplades fédérées de cet Eden connaissaient comme nous des ères de crises alternant avec des ères de prospérité. Comment cela ? Leur cas est intéressant, c'est un voyageur, seul rescapé d'un naufrage, qui le découvrit. Il en a consigné le récit dans un vieux manuscrit dont un fragment laisse désirer les pages qui manquent.
Notre homme trouva la population — bonnes gens d'ailleurs — de ce beau continent en proie à une grande détresse. Leur civilisation n'en n'était pas à ses débuts, puisqu'ils connaissaient ce qu'on appelle, je crois, la division du travail. Tous ne produisaient pas toutes les choses nécessaires à leur subsistance. Ils se "spécialisaient," puis échangeaient les fruits de leur travail, non par le simple troc primitif, lent et encombrant, mais par un intermédiaire d'échange, une monnaie. Leur monnaie cependant n'était ni d'or, ni d'argent, ni de papier, encore moins la monnaie scripturale de notre siècle de banquiers. Mais qu'importe la matière de la monnaie dès lors que celle-ci fonctionne. N'est-ce pas un simple signe après tout, une représentation des valeurs !
Nos gens donc avaient adopté, ou leurs financiers leur avaient imposé, comme monnaie des dents de requin. Pour quelque raison que je ne puis expliquer, les cadavres de ces carnivores de la mer échouaient parfois en assez grand nombre sur un promontoire du continent et les financiers de la nation en avaient la garde.
À la faveur des conditions de vie normalement bonnes, le pays, quoique ignoré des émigrants de l'Europe centrale ou des Îles Britanniques, s'était peuplé par le simple jeu des naissances. Il était donc heureux que les moissons de dents de requin vinssent augmenter la circulation monétaire.
Or donc, cette année-là, pour la sixième année de suite, l'océan s'était montré mesquin. Grande misère partout, chômage généralisé, joie bannie, mariages rares, suicides fréquents.
Et le voyageur de s'étonner de la simplicité de ces gens. "Comment, leur dit-il, avez-vous de moins bonnes terres qu'il y a six ans ? Avez-vous moins d'ouvriers ? J'en vois trois sur dix qui ne font rien, non par paresse, car ils sollicitent de l'ouvrage à tous les coins. Pourquoi cesser vos activités et vous laisser dépérir ?"
Et les sages de la nation de répondre : "Nous n'y pouvons rien. C'est une crise. Les dents de requin font défaut. Pas de monnaie, pas d'achat ; pas d'achat, pas de ventes ; pas de ventes, pas d'activité : produit-on pour les étagères et les entrepôts ? Nous sommes pauvres au milieu de nos richesses, faute de dents de requin. Le ciel nous punit. Si du moins nous pouvions exporter nos produits chez les étrangers qui résident au-delà de ces monts que vous voyez au couchant ! mais chez eux, c'est comme chez nous. Leurs financiers et les nôtres sont d'accord. C'est une crise universelle !"
Et le voyageur fut tenté de hausser les épaules. Mais son bon cœur le retint : Pourquoi, leur dit-il, n'adoptez-vous pas une autre monnaie que vous pouvez rendre suffisamment abondante pour répondre aux besoins de vos échanges mutuels ?"
— "Impossible, nos financiers et nos économistes nous le défendent bien. Ils ont peur de l'inflation !"
— "Pas question d'inflation, mais d'équilibre, vous pouvez régler la monnaie selon vos besoins. Que font donc vos gouvernants ?"
— "Nos gouvernants ne bougent pas sans la permission de nos financiers."
***
Vieux conteur, vieux malin, va, ce continent-là n'est pas si loin !
Encore une tragédie des passages à niveau : une hécatombe ! N'avons-nous pas de matériaux, de main-d'œuvre et de temps pour supprimer les passages à niveau ? Personne disponible pour un emploi de garde-barrières ?
Oh oui, nous avons tout cela, et de trop, dit-on, mais PAS D'ARGENT ! Et l'on continue bêtement d'immoler les vies humaines sur l'autel de la souveraine FINANCE.
Il y a quelques mois, un journal hebdomadaire écrivait sous la plume de quelqu'un qui se pique de connaissances en économie sociale et politique :
"Le Crédit Social est une doctrine absurde et utopique, il prétend abolir la pauvreté. Or l'Évangile rapporte ces paroles de Notre Seigneur : Il y aura toujours des pauvres parmi vous."
Et voilà la condamnation formelle du Crédit Social, d'après cet écrivain qui prend sans doute ses lecteurs pour des "pauvres d'esprit."
Il convient de s'entendre sur les termes. La pauvreté est, dans un sens, une chose relative, comme aussi la richesse. Il y aura toujours des gens plus pauvres ou moins riches que d'autres. Il y aura aussi toujours des souffrances : physiques et morales, maladies, deuils, séparations, froissements, incapacités du corps ou de l'esprit. Bien de ces choses cependant se trouveraient fort adoucies si nous avions un système économique sain.
Ce que le Crédit Social prétend abolir, c'est le dénuement, la privation de l'indispensable, dans un pays qui surabonde de richesses actuelles ou potentielles. Ce degré de pauvreté est évitable et ne devrait pas être toléré au Canada. Nous ne sommes plus aux siècles où la production était le problème capital. II faut être aveugle pour ne pas s'apercevoir des progrès immenses accomplis dans ce sens surtout depuis une quarantaine d'années. Faut-il que ces progrès de l'humanité soient au bénéfice de quelques-uns seulement ? Ne sont-ils pas le résultat des études, des recherches et du travail des générations qui nous ont précédés ? Faut-il qu'on cesse de produire les richesses plutôt que d'en permettre la jouissance à la multitude ?
De vouloir citer une parole du bon Maître pour défendre un système économique égoïste, immoral et criminel, c'est semer la haine et la révolte dans les cœurs. Il y a des souffrances et des injustices qui ne se supportent pas indéfiniment. Prêchez la soumission à la volonté divine, oui ; mais commencez par revendiquer les droits des opprimés, victimes de volontés bien humaines. Combien nous préférons cette remarque du Pape régnant, tirée de son immortelle encyclique :
"L'organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin, alors seulement qu'il procurera à TOUS et à CHACUN de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer. Ces moyens doivent être ASSEZ ABONDANTS pour satisfaire aux besoins d'une honnête subsistance et pour élever les hommes à ce degré d'aisance et de culture qui, pourvu qu'on en use sagement, ne met pas obstacle à la vertu, mais en facilite au contraire singulièrement l'exercice."
Voilà qui sonne autrement mieux évangile et christianisme que le raisonnement idiot du journaliste de P.Q.
Mais le Canada est-il assez fourni de ressources naturelles et de valeurs productives pour que "tous et chacun" de ceux et celles qui composent la population du Canada aient droit à un "certain degré d'aisance et de culture ?" Ou bien faut-il que le degré minimum au Canada se borne à tenir l'âme et le corps ensemble, au risque de former une génération d'anémiés, de tuberculeux, de scrofuleux et de rongés par les soucis ?
Pour la réponse à cette question, nous laissons la parole à M. Blackmore, pour deux raisons : premièrement parce que ces extraits des débats de la Chambre des Communes répondent droit à la question en termes très simples ; deuxièmement, parce qu'ils prouvent que s'il y eut des députés à faire entendre une note humaine et sensée à la dernière session du Parlement d'Ottawa, lorsqu'il était question de sujets économiques et financiers, ce furent surtout, et presque exclusivement, ceux du groupe Crédit Social.
On sait, en effet, que M. Blackmore, député albertain, est le leader du Crédit Social au Parlement fédéral. Voici donc, en modifiant légèrement la forme de la traduction officielle, les paroles de M. Blackmore à la Chambre le 5 mai dernier :
"Tout d'abord la pauvreté n'a pas sa raison d'être chez nous. Dans tout ce Dominion, la pauvreté n'a pas sa raison d'être, et tout gouvernement qui continue à laisser subsister la pauvreté, ou ne sait pas ce qu'il faut faire, ou refuse d'appliquer les remèdes.
"Nous avons des vivres en abondance ; nous pouvons en produire en plus grande quantité encore. J'ai constaté récemment une tendance à faire à ce sujet des discussions académiques. Mais parlons aujourd'hui le langage du simple bon sens.
"Se trouve-t-il un seul député dans cette enceinte qui prétende que notre pays ne puisse produire toutes les céréales dont-il a besoin ? Ou que le Canada ne puisse produire les dérivés du grain : farine de blé, farine d'avoine et le reste ? Qu'il se lève, ce député, s'il existe. Il passerait pour absurde, n'est-ce pas ?
"Et qui soutiendra sérieusement que nous ne pouvons produire tout le bœuf, le porc, le mouton et les autres viandes que réclame notre alimentation ? Quelqu'un doute-t-il vraiment de notre capacité à fournir tous les laitages — lait, crème, beurre ou fromage — dont nous avons besoin ? Si nous en étions incapables, si la demande effective dépassait la capacité de production, on verrait monter les prix de toutes ces denrées, alors qu'au contraire les prix en sont tombés à un niveau qui décourage les éleveurs.
"Et ne pouvons-nous cultiver assez de pommes de terre et d'autres légumes pour répondre aux demandes des consommateurs ? De même pour une grande variété de fruits.
"Quant aux vêtements, nous savons qu'il nous est certainement possible de produire la laine en quantité suffisante. Ainsi du cuir et des articles de cuir ; des chaussures et des articles de vêtement, même si certaines espèces doivent venir d'autres climats.
"Quelqu'un peut-il mettre en doute notre capacité d'ériger tous les abris nécessaires ? L'abondance de matériaux et de main-d'œuvre habile non utilisés lui donnerait le démenti. Tout ce que nous avons à faire pour produire toutes ces choses, s'il n'y en a pas assez, c'est de mettre à l'ouvrage les centaines de mille ouvriers qui chôment et ne demandent qu'à travailler.
"Va-t-on nier sérieusement que nous puissions trouver au Canada tout le combustible nécessaire aux Canadiens ? Qu'on songe un peu aux vastes régions carbonifères que renferment l'Alberta et d'autres parties du pays.
"Et maintenant j'en arrive à l'instruction et à la culture. Nous pouvons assurément obtenir au pays toute l'instruction que nous voudrons. Nous avons des professeurs et des écoles, et qui nous empêche de multiplier celles-ci ? Pourquoi alors les moyens de s'instruire davantage sont-ils refusés à tant de jeunes ?
"Il y a au Canada abondance, d'aucuns disent surabondance, de moyens de transports. Outillés comme nous le sommes à ce point de vue, personne ne devrait être privé d'une certaine mesure généreuse de moyens de transport.
"Allons-nous parler d'hygiène et d'autres services ? Nous avons à notre portée tous les moyens de nous les procurer. Un bon nombre de médecins, de dentistes, d'oculistes, qui chôment actuellement, seraient en mesure de soigner nos enfants, de traiter leurs dents et leurs yeux. Pour quelle raison ne bénéficions-nous pas de ces avantages ?
"Je soutiens, Monsieur l'Orateur, en face de la situation actuelle, qu'il est absolument absurde de nous arrêter même à l'idée que la pauvreté peut exister dans un pays comme le nôtre. Et la question se pose : De quelle façon allons-nous donner une solution au problème, car nous avons, il semble, des difficultés notoires à surmonter avant de partager cette abondance de production disponible. Pourquoi ? Qui nous retient ? Les économistes qui ne sont pas liés par les vieilles formules sont assez généralement d'opinion que l'argent est à la base de tous nos ennuis.
"Toutes les difficultés que nous éprouvons se concentrent autour de cette chose — l'argent. Où allons-nous nous procurer l'argent nécessaire et comment allons-nous le reporter entre les mains des gens qui en ont besoin ? "
***
À la double question qui termine ces extraits, le Crédit Social offre une solution. Nous l'apprendrons en étudiant le système. Pour le comprendre, il est certaines fausses notions sur la monnaie et sa provenance qui ont été délibérément entretenues dans le public pour protéger, en le voilant, le jeu des exploiteurs, et qu'il convient d'abord de dissiper. Les articles qui suivent tendent à faire la lumière.
Dans un débat au Congrès américain à l'occasion du rapport du Comité Pujo, nommé en 1913 pour enquêter sur le monopole de la monnaie, C.-A. Lindbergh, père du fameux aviateur, disait :
"Il existe un dieu fait par l'homme et qui contrôle le système social et industriel qui nous régit. On l'appelle le "trust de la monnaie." Il est jaloux de son pouvoir, et s'oppose à toute inquisition. Il possède aujourd'hui une influence presque illimitée sur nos actions quotidiennes et cherche constamment à augmenter son pouvoir par les lois qu'il pistonne en sous-main.
"J'ai attendu bien des années l'occasion d'exposer le faux étalon monétaire et de montrer que le plus grand favoritisme est celui que le gouvernement accorde au trust de la monnaie. Mais j'ai compris que nul homme n'est de lui-même assez puissant pour placer cet immense problème devant le grand public. J'ai de plus compris que viendrait un jour le moment psychologique où le peuple devrait s'intéresser à la question monétaire, l'étudier et appuyer l'homme qui publierait la vérité sur le système monétaire et réclamerait une action. Ce temps viendra probablement lorsque le trust de la monnaie et les intérêts à sa solde auront grugé le peuple une fois de plus et à plus grandes bouchées."
Ne vous semble-t-il pas que le "temps psychologique" dont parlait Lindbergh, il y a dix-huit ans, est certainement arrivé ?
Faisant allusion aux promesses de Duplessis, le Financial Post remarque que, s'il les mettait à exécution, "l'effet serait mauvais sur les détenteurs d'obligations de plusieurs compagnies du Québec ; cela indisposerait le capital envers une province classée jusqu'ici parmi les plus saines et les mieux équilibrées (lisez : les mieux tondues) et cela nuirait, en définitive, à la majorité de ceux qu'on aurait eu la prétention d'aider." Et E. Turcotte monte cet extrait en épinglette dans "Le Canada" du 25 août !
Éducateurs, les journaux !
Combien de gens se sont donné la peine, ont même eu l'idée de se poser cette question ? On est trop habitué à prendre les choses comme elles sont ou comme on les trouve. On n'a pas l'esprit chercheur.
Qui s'arrête, en déambulant sur un trottoir de ville, à se demander d'où vient le ciment, l'asphalte, etc. ? On tourne un commutateur et le salon s'inonde de lumière : d'où vient cette électricité ? Qu'importe-t-il, dès lors qu'elle ne manque pas trop souvent ! Et dans notre monde complexe d'aujourd'hui, qui donc peut prétendre tout approfondir ? Le mot "approfondir" est outré. Sans aller jusque-là, la personne intelligente cherche à se renseigner.
Entrez dans le domaine qui nous occupe, la monnaie. On s'en sert tous les jours, moins depuis que le courant fait souvent défaut, mais, en face même de ses débits capricieux, est-il une personne sur cent qui ait pris la peine de remonter le cours jusqu'à sa source ? On y songe d'autant moins qu'on est sous l'impression générale que le gouvernement fait la monnaie. La frappe des pièces n'est-elle pas une prérogative de l'État souverain ! Les particuliers qui veulent "battre monnaie" ne vont pas loin, malgré leurs précautions infinies : l'État dont ils usurpent les droits a vite fait de les loger à ses frais. Alors pourquoi cette question : D'où vient la monnaie ?
Une contre-question va vous mettre sur la piste : Si l'État a le droit exclusif de fabriquer la monnaie, pourquoi manque-t-il toujours d'argent ? Pourquoi doit-il comprimer les dépenses, renvoyer de bons fonctionnaires, refuser des travaux urgents, quand ni les hommes, ni les matériaux, ni les machines ne manquent ?
Voilà bien, en effet, de quoi faire réfléchir. — Mais, va remarquer le fils de mon voisin, brillant garçon rendu à sa deuxième année de philosophie, la monnaie est faite d'or et d'argent, si l'on néglige les gros sous du pauvre. Encore le métal argent dans la monnaie est-il subordonné à l'or ; nous sommes sous le régime de l'étalon-or, vous savez, et l'or ne pousse pas comme le chiendent, pas même comme une récolte de melons conditionnée par des soins minutieux.
— Bien dit, mon cher, mais alors, si l'on ne peut sortir d'or de la terre qui le cache si avaricieusement, les pauvres humains de la surface vont périr de faim et de froid en face de leurs champs de blé, de leurs troupeaux qui, eux, n'attendent pas l'or pour brouter l'herbe des prés ; en face de leurs belles forêts et de leurs mines de charbon désertées ! Allons donc ! L'idolâtrie de l'homme vis-à-vis du veau d'or n'ira pas jusque-là. Avouons tout de même qu'elle va loin.
Tiens, mon petit philosophe, je lisais l'autre jour, dans un article qui puise aux statistiques et m'a l'air renseigné, que, tout compté, nous avons au Canada seulement 78 millions d'or, aux prix de $20 l'once, ce qui donnerait 130 millions au nouveau prix, et qu'il y a quand même plus de 2500 millions de dépôts en banques. Est-ce cela l'étalon-or ? La quantité d'or n'a pas sensiblement changé, mais le total de la monnaie connaît des hausses et des baisses sensibles, violentes mêmes comme la compression de 1930. L'étalon-or ?
— Oui, mais il y a l'argent, et il y a les billets de banque, basés sur l'or au moins dans une certaine proportion.
— Certainement, et il y a même une autre monnaie que vous n'avez pas nommée, qui sert immensément plus que l'autre, qui ne dépend ni de vous ni de moi, ni du gouvernement, mais d'un petit groupe de faussaires légalisés, acceptés, honorés, respectés, craints, défendus et protégés par ceux qui devraient défendre et protéger le peuple, et c'est cette monnaie qui est le nœud de la situation, sa manipulation qui fait la pluie et le beau temps économiques ; son abondance cause des ères de prospérité qu'on appelle "boom" parce qu'elles surgissent soudain et poussent vers des sommets inexpliqués par des conditions normales ; sa compression paralyse les peuples, crée le chômage et la misère en attendant les révolutions.
Exagéré ? Comparez un peu entre ces années et celles qui les ont précédées. N'avons-nous pas les mêmes machines, et plus perfectionnées, qu'en 1928 et 1929 ? Les mêmes applications scientifiques, et développées encore depuis ? La même armée d'ouvriers, avec le même cœur et les mêmes talents, plus nombreuse peut-être et, plus impatiente de travailler ? Ce que l'on constate, par exemple, c'est que la circulation monétaire au Canada fut comprimée d'un gros tiers en l'espace de quelques mois.
Comment, la quantité de monnaie augmente et diminue ? Certainement. Non pas tant la quantité d'or, d'argent métallique, de monnaie de papier, mais surtout cette monnaie non matérielle, simple inscription dans les livres des banquiers qui en sont les fabricants, cette monnaie "scripturale" qui est bien plus importante que l'autre, puisqu'elle sert à 95 pour cent de nos transactions commerciales.
Le gouvernement d'Ottawa possède son Hôtel des Monnaies, où il frappe les pièces métalliques. D'après le renseignement fourni au député Reid par l'Honorable Dunning, ministre des Finances, le 6 mai dernier, la frappe des dollars d'argent se fait actuellement au régime de 5000 pièces par jour ; à pleine capacité, elle serait de 10,000 pièces par jour (Débats de la Chambre des Communes, page 2790). À pleine capacité et à 300 jours par an, ce serait $3,000,000, par an, $18,000,000 en six ans. Or, de 1914 à 1920, en six ans, les dépôts dans les banques au Canada ont augmenté, non pas de 18 millions, mais de 1400 millions. Par quelle magie ?
C'est bien simple, la monnaie scripturale se passe de métal, de fonderie, de poinçon : il suffit d'une bouteille d'encre, d'une plume et d'un livre de banquier.
À l'heure où le gouvernement fédéral fabrique péniblement, à 50% de rendement, son demi-million par an, lui, le souverain, emprunte des créateurs de la monnaie scripturale 750 millions (Débats, page 399.1).
Mais il n'y a même pas 400 millions de monnaie légale au Canada ? Qu'à cela ne tienne, il y a encore de l'encre dans la bouteille du banquier et ces écritures lui rapportent de beaux bénéfices, en même temps qu'elles hypothèquent la nation et font de nous les esclaves d'un système bancaire privé. Et n'allez pas suggérer que le gouvernement, l'État souverain devrait bien plutôt avoir ce privilège de la création de toute monnaie nécessaire, matérielle ou scripturale. Le ministre des Finances lui-même l'a déclaré en pleine Chambre, "la presse à imprimer de l'argent n'a jamais enrichi une nation." Il vaut mieux, paraît-il, imprimer des obligations, des servitudes vis-à-vis des banquiers et laisser ceux-ci créer eux-mêmes la monnaie. Ce sont nos faussaires officiels et reconnus : peuple ignorant, incline-toi et baise avec respect les chaînes d'or qui te rivent et riveront tes enfants en esclavage perpétuel !
***
Mais qu'est-ce donc que cette monnaie scripturale dont vous faites tant de cas ? — Un exemple va l'expliquer. Je l'emprunte à l'un de ces bulletins mensuels que publient les banques et dans lesquels, depuis qu'un mouvement d'étude de la monnaie se dessine et s'accentue chez le public, elles distillent du chloroforme à grande dose.
Un fabricant de chaussures désire un emprunt de $50,000. Il se présente à la banque. Celle-ci analyse son cas. C'est un homme qui conduit bien son entreprise, conserve et augmente sa clientèle. Son cas est bon. Elle lui octroie le prêt, moyennant garanties évidemment. Le banquier va-t-il sortir $50,000 de ses tiroirs et les passer à l'emprunteur ? Non pas, il va simplement lui ouvrir un compte et placer à son crédit $50,000. N'est-ce pas, après tout, aussi bien que si le banquier lui passait cette somme et que lui la déposerait immédiatement, quitte à tirer les montants selon ses besoins, au moyen de chèques ?
La minute après que le banquier a fait cette inscription, il y a au Canada $50,000 de plus. Nul autre dépôt n'a été diminué, en effet ; c'est un dépôt absolument nouveau, sans apport de monnaie d'autre source. Voilà la baguette magique, sous laquelle ont surgi $50,000 qui n'existaient pas auparavant, qui vont servir à payer du cuir, des machines, des employés.
Le fabricant de chaussures va mettre cette monnaie en circulation, mais il devra la rembourser, dans trois, quatre ou six mois, selon les arrangements. Pour rembourser, il va vendre ces produits et l'argent ainsi retiré de la circulation sera remis à la banque : 50,000 dollars plus l'intérêt. À mesure qu'il remboursera cette monnaie scripturale, elle disparaîtra.
Prêts et remboursements se poursuivent tous les jours, en différents lieux et avec différents clients. Si le montant total des prêts dépasse le montant total des remboursements, la quantité de monnaie en circulation augmente. Si les remboursements rentrent plus vite, par suite d'une compression des crédits, la quantité de monnaie en circulation diminue. Et ainsi s'explique qu'elle a diminué du tiers de 1929 à 1932.
Seules les banques ont ce privilège, qui devrait être réservé au souverain, chez nous à l'État fédéral. Que notre fabricant de chaussures aille emprunter, disons, de M. Dubois, ancien cultivateur qui a vendu sa ferme. M. Dubois va faire le même examen et exiger les mêmes garanties que le banquier, puis il prêtera $50,000. Mais il n'aura rien créé. Les $50,000 seront désormais au compte du fabricant de chaussures, mais ils seront soustraits au compte de M. Dubois.
Je sais qu'un certain Monsieur Logique va me dire que la banque est obligée de répondre au guichet à toutes les demandes de numéraire (d'argent matériel, métal ou billets) et qu'il lui faut donc des réserves. Mais Monsieur Logique sait, et savait bien avant moi, qu'avec une réserve de $10,000, un banquier peut prêter $100,000, car l'expérience lui a démontré que les appels de numéraire sont de moins de 10%. L'histoire de l'orfèvre devenu banquier, que je vais raconter un peu plus loin, au risque d'ennuyer ceux qui la connaissent déjà parce qu'elle n'est pas inédite, va expliquer cette élasticité qui joue en faveur du banquier, du créateur, contrôleur et maître de la monnaie.
À remarquer aussi, en passant, que le banquier crée les capitaux qu'il prête, mais il ne crée pas les intérêts qu'il en demande. Où va-t-on les prendre ? Le profit de l'industriel, direz-vous. Oui, mais l'argent viendra tout de même d'une source ou d'une autre qui n'a pas le pouvoir d'en fabriquer. Ce ne sont pas des chaussures, ni d'autres produits que veulent les banquiers comme intérêts, mais de l'argent, de la monnaie que seules elles peuvent créer et qu'elles n'ont pas créé. D'où nécessité de nouveaux emprunts.
Il n'en va pas autrement avec les gouvernements. Ils empruntent des banques du capital qu'elles créent et s'engagent à tirer du public, pour rembourser les banques, une somme égale à ce Capital plus l'intérêt. Quand le public est à sec et ne peut plus servir même les simples intérêts, les gouvernements empruntent encore ; pour rembourser les obligations précédentes, ils s'en chargent de plus lourdes et l'on s'étonne que la dette monte toujours !
Que conclure de ceci ?
"Les détenteurs et maîtres absolus de l'argent gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par-là, ils distribuent en quelque sorte, le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leur mains, si bien que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer."
Sévères, mais combien vraies, ces paroles du Pape ! Un peu plus loin, dans la même encyclique Quadragesimo Anno, on trouve cette remarque que personne n'osera contredire :
"Toute la vie économique est devenue horriblement dure, implacable, cruelle."
Voilà des constatations douloureuses. Le système bancaire qui nous a conduits de crise en crise, chacune plus dure que la précédente, ne veut pas se départir de ses privilèges. Ce n'est pourtant pas lui qui répare les ruines. Il veut les privilèges et rejette les responsabilités. Je ne sache pas que les chômeurs et les indigents aient jamais été invités à faire queue au comptoir des banques. Au contraire, lorsque les trésors des municipalités, des provinces et du fédéral s'épuisent et que le peuple pressuré ne peut plus les alimenter, les porte-voix des banques crient de comprimer les dépenses, de distribuer moins d'argent aux travailleurs, mais de ne jamais toucher aux taux d'intérêts, à la livre de chair dont se repaît le banquier.
On va trouver peut-être ces expressions violentes et cette critique destructive. Nous n'allons pas nous borner à ces tableaux attristants ; nous montrerons et expliquerons peu à peu, au cours de ces "Cahiers," quelle méthode le Crédit Social, lui, propose pour l'émission et le contrôle de la monnaie. Mais racontons auparavant l'histoire promise un peu plus haut.
Qu'on ne prenne pas ces critiques comme dirigées contre nos employés de banques ; pas même contre les gérants et inspecteurs. Ils ne sont que des travailleurs comme vous et moi, desquels on exige une exactitude parfaite, une honnêteté intègre, une bonne "mise," une courtoisie inaltérable, une soumission absolue, et qu'on paye très mal. C'est le système qui est défectueux, et ses employés sont les premiers à en souffrir. — Cette remarque n'a pas pour but de blanchir les gros manitous, genre Holt, Gordon, Flavelle et autres, qui touchent le clavier.
Je suis au Labrador, en janvier, isolé et sans asile : je souffre du froid. Mais s'il y a gîte et bon feu à quelques pas et qu'une consigne barbare ou idiote m'en interdit l'accès, je souffre d'autre chose que du froid.
Si vous avez un peu d'imagination, transportez-vous quelques siècles en arrière, dans une Europe déjà vieille mais peu progressive encore, ayant surtout cultivé l'art de la guerre et celui des persécutions, s'éveillant néanmoins peu à peu aux récits des aventuriers et des voyageurs. C'était peut-être l'époque où Jacques Cartier grimpait au sommet du Mont Réal, conduit par le vieux chef qui voulait lui faire admirer le magnifique panorama de forêts et de rivières devant lequel même l'âme d'un Peau-Rouge ne pouvait rester inerte. Ou était-ce plutôt avant que Christophe Colomb eût mis le cap sur le vaste inconnu pour atteindre l'Orient en voguant vers l'Occident ?
Toujours est-il qu'en ce temps-là la monnaie ne comptait pas pour beaucoup dans les transactions commerciales courantes. La plupart de celles-ci étaient de simples échanges directs, du troc. Cependant, les rois, les seigneurs, les riches et les gros négociants possédaient de l'or et s'en servaient pour financer les dépenses de leurs armées ou pour acquérir des produits étrangers.
Mais les guerres entre les seigneurs ou les nations et les brigandages exposaient l'or et les bijoux des riches à tomber entre les mains des pilleurs. Aussi les possesseurs d'or devenus trop nerveux prirent-ils de plus l'habitude de confier la garde de leurs trésors aux orfèvres qui, à cause du matériel précieux sur lequel ils travaillaient, disposaient de voûtes bien protégées. L'orfèvre recevait l'or, donnait un reçu au dépositaire et conservait le métal pour celui-ci, moyennant une prime pour le service.
Naturellement, le propriétaire réclamait son bien, en tout ou en partie, quand bon lui semblait.
Le négociant qui partait de Paris pour Marseille, ou de Troyes pour Amsterdam, pouvait se munir d'or pour faire ses achats. Mais là encore, il y avait danger d'attaque en cours de route ; aussi s'appliqua-t-il à persuader son vendeur de Marseille ou d'Amsterdam d'accepter, au lieu de métal, un droit signé sur une partie du trésor en dépôt chez l'orfèvre de Paris ou de Troyes. Le reçu de l'orfèvre témoignait de la réalité des fonds. Il arriva aussi que le fournisseur d'Amsterdam, ou d'ailleurs, réussit à faire accepter par son propre correspondant de Londres ou de Gênes, en retour de services de transport, le droit qu'il avait reçu de son acheteur français.
Bref, peu à peu, les commerçants en vinrent à se passer entre eux ces reçus au lieu de l'or lui-même, pour ne pas déplacer inutilement celui-ci et risquer des attaques aux mains des bandits. C'est-à-dire qu'un acheteur, au lieu d'aller chercher un lingot d'or chez l'orfèvre pour payer son créancier, donnait à ce dernier le reçu de l'orfèvre lui conférant un titre à l'or conservé dans voûte. Au lieu de l'or, ce sont les reçus de l'orfèvre qui changeaient de main. Tant qu'il n'y eut qu'un nombre limité de vendeurs et d'acheteurs, ce n'était pas un mauvais système. Il restait facile de suivre les pérégrinations des reçus.
Mais l'orfèvre fit bientôt une découverte qui devait affecter l'humanité beaucoup plus que le voyage mémorable de Christophe Colomb lui-même. Il apprit, par expérience, que presque tout l'or qu'on lui avait confié demeurait intact dans sa voûte. Les propriétaires de cet or se servant de ses reçus dans leurs échanges commerciaux, c'est à peine si un sur dix venait quérir du métal précieux.
La soif du gain, l'envie de devenir riche plus vite qu'en maniant ses outils de bijoutier, aiguisèrent l'esprit de notre homme et lui inspirèrent de l'audace. "Pourquoi, se dit-il, ne me ferais-je pas prêteur d'or !" Prêteur, remarquez bien, d'or qui ne lui appartenait pas. Et comme il n'avait pas l'âme droite de saint Eloi, il couva et mûrit cette idée. Il la raffina encore davantage : "Prêteur d'or qui ne m'appartient pas, et avec intérêt, va sans dire ! Mieux que cela, mon cher maître (parlait-il à Satan ?) — au lieu d'or, je vais prêter des reçus et en exiger de l'intérêt en or : cet or-là, sera bien à moi et celui de mes clients restera dans mes voûtes pour couvrir de nouveaux prêts."
Il garda bien le secret de cette découverte, n'en parlant même pas à sa femme qui s'étonnait de le voir souvent se frotter les mains de joie. L'occasion de mettre ses desseins à exécution ne tarda pas, bien qu'il n'eût pour s'annoncer ni "La Presse" ni "Le Star."
Un bon matin, en effet, un ami de l'orfèvre se présenta chez lui pour réclamer une faveur. Cet homme n'était pas sans biens — une maison ou une propriété en culture — mais il avait besoin d'or pour régler une transaction. S'il pouvait seulement en emprunter, il le rendrait avec un surplus en compensation ; s'il y manquait, l'orfèvre saisirait sa propriété, d'une valeur bien supérieure au prêt.
L'orfèvre ne se fit prier que pour la forme, puis expliqua à son ami, d'un air désintéressé, qu'il serait dangereux pour lui de sortir avec une forte somme dans sa poche : "Je vais vous donner un reçu ; c'est comme si je vous prêtais de l'or que je tiens en réserve dans ma voûte ; vous passerez ce reçu à votre créancier et s'il se présente, je lui remettrai l'or ; vous me devrez tant d'intérêt."
Le créancier ne se présenta pas généralement. Il passa lui-même le reçu à un autre. Entre temps, la réputation du prêteur d'or se répandit. On vint à lui. Grâce à d'autres avances semblables par l'orfèvre, il y eut bientôt plusieurs fois autant de reçus en circulation que d'or réel dans les voûtes.
L'orfèvre avait bel et bien créé de la circulation monétaire, à grand profit pour lui-même. Il triompha vite de sa nervosité du début qui lui avait fait craindre une demande simultanée d'or par un grand nombre de détenteurs de reçus. Il pouvait jouer dans une certaine limite en toute sécurité. Quelle aubaine, de prêter ce qu'il n'avait pas et d'en tirer intérêt — grâce à la confiance qu'on avait en lui et qu'il eut soin de cultiver ! Il ne risquait rien tant qu'il avait pour couvrir ses prêts une réserve que son expérience jugeait suffisante. Si, d'autre part, un emprunteur manquait à ses obligations et ne remettait pas le prêt l'échéance venue, l'orfèvre acquérait la propriété gagée. Sa conscience s'émoussa vite et les scrupules du début ne le tourmentèrent plus.
D'ailleurs, il crut sage de changer la formule et quand il prêta, au lieu d'écrire : "Reçu de Jacques Lespérance," il écrivit : "Je promets payer au porteur. Cette promesse circula comme de la monnaie d'or. Incroyable, direz-vous. Allez donc, regardez vos billets de banque d'aujourd'hui. Lisez le texte qu'ils portent. Sont-ils si différents et ne circulent-ils pas comme monnaie ?
Un figuier fertile, le système bancaire privé, créateur et maître de la monnaie, avait donc poussé sur les voûtes de l'orfèvre. Les prêts de celui-ci, sans déplacement d'or, étaient devenus les créations de crédit du banquier. Les reçus primitifs avaient changé de forme, prenant celle de simples promesses de payer sur demande. Les crédits créés par le banquier s'appelèrent dépôts, ce qui fit croire au public que le banquier ne prêtait que les sommes venues de déposants. Ces crédits entraient dans la circulation au moyen de chèques négociables. Ils y déplacèrent en volume et en importance la monnaie légale du souverain qui n'eut plus qu'un rôle secondaire. Le banquier créait dix fois plus de circulation fiduciaire que l'État.
L'orfèvre mué en banquier fit une autre découverte : il s'aperçut qu'une abondante mise de reçus (crédits) en circulation accélérait le commerce, l'industrie, la construction ; tandis que la restriction, la compression des crédits, qu'il pratiqua d'abord dans les cas où il craignait une course à l'or vers son établissement, paralysait l'essor commercial. Il semblait, dans ce dernier cas, y avoir surproduction alors que les privations étaient grandes ; c'est parce que les produits ne se vendaient pas, faute de pouvoir d'achat. Les prix baissaient, les banqueroutes se multipliaient, les emprunteurs du banquier faisaient défaut à leurs obligations et le prêteur saisissait les propriétés gagées.
Le banquier, très perspicace et très habile au gain, vit ses chances, des chances magnifiques. Il pouvait monétiser la richesse des autres à son profit : le faire libéralement, causant une hausse des prix, ou parcimonieusement, causant une baisse des prix. Il pouvait donc manipuler la richesse à son gré, exploitant l'acheteur en temps d'inflation et exploitant le vendeur en temps de dépression.
Le banquier devenait ainsi le maître universel, il tenait le monde à sa merci. Des alternances de prospérité et de dépression se succédèrent. L'humanité s'inclina sous ce qu'elle prenait pour des cycles naturels et inévitables.
Pendant ce temps, savants et techniciens s'acharnaient à triompher des forces de la nature et à développer les moyens de production. Et l'on vit paraître l'imprimerie, se répandre l'instruction, surgir des villes et des habitations meilleures, se multiplier et se perfectionner les sources de la nourriture, du vêtement, des agréments de la vie. L'homme maîtrisa les forces de la nature, attela la vapeur et l'électricité. Transformation et développements partout — excepté dans le système monétaire.
Et le banquier s'enveloppa de mystère, entretint la confiance que le monde soumis avait en lui, eut même l'audace de faire proclamer par la presse, dont il contrôlait la finance, que les banques avaient sorti le monde de la barbarie, ouvert et civilisé des continents. Savants et travailleurs n'étaient plus considérés que secondaires dans la marche du progrès.
Aux masses, la misère et le mépris ; au financier exploiteur, les richesses et les honneurs ! Comme son digne successeur Herbert Holt d'aujourd'hui, honoré, adulé, "siré," il réclamait l'estime du peuple qu'il saignait : Si je suis riche et puissant pendant que vous subissez les étreintes de la pauvreté et l'humiliation de l'assistance publique ; si j'ai réussi en pleine dépression à faire du 150 pour cent chaque année, c'est chez vous la bêtise et chez moi "le fruit d'une sage administration."
De la brochure du Révérend Père Lévesque, "Crédit Social et Catholicisme," page 21 :
"On peut être magnifiquement social sans être socialiste. Tel est le cas des Créditistes. À ce propos, dénonçons en passant l'expression "Crédit-Socialistes" dont certains journaux se servent, peut-être à dessein, pour désigner les partisans du système de Douglas. Pareille appellation nous semble injuste, tendancieuse, ou pour le moins équivoque. Le terme Créditiste est de beaucoup préférable,"
C'est juste. Avec moins de parti-pris, les journaux disaient bien Actionnistes et non Action-Libéraux ; ils parlent d'Unionistes et non d'Union-Nationalistes. Dit-on : le gouvernement Front-Populariste de France ? Allons donc ! Écrivons donc : Créditistes, gouvernement Crédit Social ou, si vous préférez, gouvernement du Crédit Social, ce qui n'est pas plus long à lire et beaucoup moins atroce que gouvernement Crédit-Socialiste.
Un peu plus de français ne nuira pas à votre cause, même si elle est mauvaise.
Le Crédit Social prétend — ce qui, nous a l'air tout à fait conforme au bon sens — que tout ce qui est possible matériellement doit l'être financièrement. Autrement dit, quand vous avez les matériaux, les machines et la main-d'œuvre, vous devez avoir le moyen de les utiliser.
J'ai beau me gratter la tête, je ne puis comprendre qu'étant donnés les immenses besoins qui s'affichent de toutes parts et les possibilités non moins immenses de production qui crèvent les yeux, nous devions rester inactifs, paralysés, sous prétexte qu'il n'y a pas d'argent.
Trop simple, va-t-on me dire. Et l'on va me renvoyer à des auteurs dont les noms et les extraits courent dans les colonnes des journaux, pour me démontrer qu'il existe des facteurs incontrôlables qui nous obligent à rester pauvres au sein de l'abondance. Ces ergoteurs reçoivent les bénédictions des financiers qui possèdent les leviers de commande et les louanges des politiciens qui font la cour intéressée aux financiers et sont heureux de trouver des excuses pour couvrir leur inaction et leurs trahisons. Quant au peuple trahi, plaint sur la scène et immolé dans les coulisses, il continue de souffrir, de se lamenter et de se demander combien de temps encore on va l'encourager à la patience en lui montrant la prospérité au coin de la rue.
Il n'y a pas une semaine, un conférencier "distingué" recevait les honneurs de la publicité parce que s'adressant à un auditoire "distingué," il avait décrit ce retour de la dame qui s'annonce depuis cinq ans et qui n'attend, paraît-il, qu'un peu plus de CONFIANCE de notre part. La centième fois peut-être depuis qu'en pleine Chambre des Communes, un député très intelligent de la Province de Québec déclarait, lui aussi, avec beaucoup de sérieux, que les tiroirs des "habitants" de son comté regorgent d'argent, (Qui donc a inventé l'histoire des cultivateurs appauvris et des fermes hypothéquées ?) — mais, ajoutait-il, cet argent reste immobilisé en attendant que la CONFIANCE renaisse. En quoi ce député est de la même école que le grand protecteur de la "saine" finance, ce Bennett qu'il combat avec tant d'animosité.
La CONFIANCE ! Qu'on distribue donc dès demain à tous les habitants de ce pays un dividende national, une monnaie tirée sur le crédit national, exempte de dette parce qu'elle ne sera pas née dans le laboratoire du banquier, et l'on verra s'il est encore nécessaire de prêcher la confiance en attendant la dame cachée au coin de la rue ! Répétez cette distribution de dividende, si modéré soit-il, chaque mois pendant un an, et vous verrez passer aux oubliettes les commissions de chômage, les secours directs, les taxes de vente, et toute cette kyrielle de fruits pourris d'un arbre qu'on s'obstine à nous présenter comme sacré, consacré et vénérable.
J'entends déjà la réplique de mon ami Jean-Pierre : "Où allez-vous prendre l'argent pour ces dividendes à tout le monde, alors qu'il n'y en a déjà pas assez pour distribuer des secours directs aux chômeurs ?"
Cette assimilation des dividendes aux secours directs est injuste, comme les lecteurs des "Cahiers" le comprendront lorsqu'ils auront avancé un peu plus loin dans cette étude. Les secours directs prennent de l'argent à Jules, qui n'en a pas trop, pour le donner à Lucien qui ne travaille pas et pourrait mourir de faim. Mais Jules et Lucien n'ont pas plus d'argent, en tout, qu'auparavant ; le pouvoir d'achat total est redistribué, mais non augmenté. Le secours direct répartit la pauvreté, au lieu que le dividende répartirait la richesse.
Mais le but de cet article n'est pas d'étudier la question du dividende national, nous y reviendrons plus tard. Ce dividende n'est d'ailleurs qu'une des deux manières qu'offre le Crédit Social pour mettre de la nouvelle monnaie en circulation. Nous voulons nous borner ici à dire d'où viendra cette nouvelle monnaie que le Crédit Social veut placer directement entre les mains des consommateurs. Où le Crédit Social va-t-il aller chercher une monnaie que nos gouvernements confessent ne pouvoir trouver malgré leurs efforts laborieux ?
Avez-vous lu l'article ci-devant : "D'où vient aujourd'hui la monnaie ?" Eh bien, le Crédit Social n'a pas besoin d'autres instruments que le banquier ; mais il y mettra une autre mesure, parce qu'il est mû par d'autres motifs, et une méthode différente de distribution, parce qu'il cherche le bien des consommateurs et non leur sacrifice sur l'autel de Mammon.
Le Crédit Social commencera évidemment par enlever à des particuliers le droit d'augmenter et de diminuer à leur gré le volume de la monnaie, le sang économique de la nation. Il ne volera personne, remarquez bien, il restituera à la nation le contrôle de sa monnaie, contrôle dont se sont emparés les fils, selon la chair ou selon l'esprit, de ce Juif de Francfort, Anselme Mayer Rothschild, qui disait avec vérité : "Qu'on m'accorde le droit de créer et contrôler la monnaie d'une nation et je me soucie peu qui fait ses lois, car celui qui contrôle la monnaie d'une nation contrôle cette nation."
Nous reviendrons plus tard sur ce droit de contrôle de la monnaie qui, ne peut appartenir qu'à la nation elle-même.
C'est à dessein que j'emploie le mot "nation" plutôt que gouvernement, pour qu'on ne s'imagine pas que le Crédit Social permet à ceux qui se succèdent au pouvoir d'émettre ou restreindre des crédits à leur gré, pour affermir leur situation politique.
Rien de cela. Le montant de la monnaie doit être réglé d'après les besoins de la distribution, donc d'après le volume de la production et les besoins du pouvoir d'achat.
— Alors (c'est encore Jean-Pierre qui m'interrompt), plus l'ensemble des travailleurs va produire de biens, plus l'ensemble des consommateurs devra avoir d'argent pour les acheter ?
— Exactement, mon ami, vous ne pouviez mieux dire, et vous voyez tout de suite que ce n'est ni le premier ministre, ni le ministre des finances, encore moins les organisateurs d'élection, qui détermineront l'ensemble de la monnaie, mais la masse même des travailleurs.
— Économique nouvelle, tout cela !
— Certainement. Et si l'on n'en veut pas d'une économique nouvelle et sensée, on aura la révolution, car le monde est plus qu'aigri de supporter des privations inutiles pour la seule fin de respecter un ordre de choses aussi criminel que stupide.
Et comment arriver à cet équilibre entre la somme de richesse produite et la somme de monnaie nécessaire pour la distribuer ?
Le Crédit Social propose l'établissement d'une Commission ou Bureau Central chargé d'établir cet équilibre.
Le bureau fédéral du Crédit Social fait le relevé de la richesse totale produite au cours de la dernière période adoptée comme unité, disons la dernière année. D'autre part, il fait également le relevé de la consommation totale pendant cette même période. La différence donne les disponibilités, on l'inscrit sous la rubrique de Crédit National disponible. Exemple :
Compte producteur
Production
$ 7,000,000,000
Importations
$ 1,200,000,000
Appréciation
$ 4,600,000,000
Total: $12,800,000,000
Compte consommateur
Consommation
$ 5,500,000,000
Exportations
$ 1,200,000,000
Dépréciation
$ 1,300,000,000
TOTAL: $ 8,000,000,000
Crédit national disponible pour répartition aux consommateurs $4,800,000,000
Quelques remarques ici pour éclaircir le raisonnement. On a fait les importations et les exportations égales. Ce ne sera pas toujours le cas. Mais sous un régime sain, c'est à cela qu'on droit tendre. Le commerce international a pour but de diversifier la richesse accessible au consommateur, non pas d'appauvrir un client. Le mercantilisme qui cherche, dans le commerce international, à s'emparer de l'or du voisin est un fruit mauvais d'un arbre mauvais. L'or n'est pas une richesse. Toute exportation éloigne une richesse du pays. Toute importation introduit une richesse dans le pays. Quand cessera-t-on de confondre monnaie et richesse ?
Dans le tableau ci-dessus, le compte producteur groupe donc la richesse acquise ; le compte consommateur, la richesse consommée.
La monnaie devant être l'expression exacte de la richesse, le comptable du Crédit Social va déduire que le surplus de richesse permet une disponibilité monétisable de $4,800,000,000.
C'est là-dessus, et sur rien autre, que le Bureau Fédéral du Crédit Social va baser sa création de monnaie nouvelle. Il distribuera cette monnaie, non pas par des prêts remboursables, portant intérêt payables à des particuliers, comme aujourd'hui, mais directement aux consommateurs par le moyen de l'escompte compensé et du dividende, double mécanisme très simple que nous expliquerons et commenterons dans un prochain numéro.
Toutes les émissions de monnaie sont débitées au compte du Crédit National, de sorte que le Bureau suit exactement le résultat et est à même, pour le prochain exercice, de savoir ce qu'il y a à faire pour maintenir l'équilibre entre la richesse réelle et la monnaie.
La monnaie du Crédit Social diffère donc de la monnaie actuelle :
Premièrement, dans son origine, étant créée et émise par un organisme national, pour le bien général, non pas par un groupe de particuliers cherchant des profits personnels ;
Deuxièmement, dans sa base, reposant sur une richesse réelle, non sur un or aléatoire ou sur la bonne volonté des prêteurs-créateurs de l'école de Rothschild ;
Troisièmement, dans le rythme de sa production, suivant exactement la capacité de production du pays, ce qui signifie, dans notre Canada riche, laborieux et industrialisé, l'élimination de la pauvreté abjecte et l'indépendance économique ;
Quatrièmement, dans son mode de distribution, allant directement au consommateur qui va lui-même financer la production, éliminant ainsi l'empire des maîtres actuels de la monnaie, la concentration de la richesse et la dictature des monopoles.
Une telle monnaie n'est-elle pas plus sensée que celle qu'on veut lier à l'or, à un produit individuel qui n'a aucun rapport avec la production des biens totaux d'une nation, ou qu'une monnaie limitée selon le jugement de quelques profiteurs qui laissent l'État, les provinces et les villes se débrouiller avec le chômage et la misère créés par leurs opérations à vues bornées ?
Comprend-on maintenant pourquoi le Crédit Social dit : Tout ce qui est matériellement possible doit l'être financièrement ?
Pourquoi un catéchisme du Crédit Social ?
Pour apprendre ce système, d'une manière simple, pas trop fatigante.
Pourquoi étudier cette doctrine du Crédit Social ? Est-ce utile ?
Étudiez-la, si vous voulez, pour vous renseigner une bonne fois sur une chose dont on parle de plus en plus. Vous verrez ensuite que vous ne regretterez pas.
Mais on lit souvent dans les journaux que le Crédit Social est une utopie irréalisable ?
J'ai lu cela aussi. J'ai même demandé à des journalistes sur quoi ils fondaient leur critique. Ils m'ont avoué qu'ils ne connaissaient pas le premier mot du Crédit Social. Ils répétaient ce que d'autres avaient dit.
Alors, les journaux parlent de choses qu'ils ne connaissent pas ?
Bien souvent, surtout dans des sujets touchant à l'économie et à la finance, pour plusieurs raisons que vous apprendrez peu à peu. Mais passons outre pour le moment.
Quelqu'un m'a dit l'autre jour de me défier du Crédit Social, ajoutant que c'est une forme de socialisme : social, socialisme !
Cet homme ne connaît ni le Crédit Social ni son français. On a bien : œuvre sociale, justice sociale, etc. Il y a des mots qui ont la même racine mais signifient des choses bien différentes : communion, communisme ; libéral, libertin (sans malice politique, puisque je vous dis que ce sont des choses très différentes !
M'affirmez-vous que le Crédit Social n'est ni du socialisme, ni du communisme ?
Je vous l'affirme et vous en conviendrez quand vous l'aurez étudié. En attendant, si vous hésitez encore par scrupule, voici un extrait d'une brochure d'un religieux dominicain très distingué :
"Si vous ne voulez ni du socialisme ni du communisme, opposez-leur le Crédit Social. Il met entre vos mains une arme terrible contre ces ennemis."
Qui a écrit cela ?
Le Révérend Père Lévesque, diplômé de l'École des Sciences Sociales et Politiques de Lille et professeur d'Économie politique au Collège Dominicain d'Ottawa.
Voilà une autorité sérieuse. Quand a-t-il écrit cela ?
Cette année. Sa brochure est la reproduction de quatre articles de lui parus à intervalles dans "L'Action Catholique" de Québec.
Y a-t-il des journaux de Montréal qui ont reproduit ces articles ?
Aucun. Je ne crois même pas qu'un seul journal de Montréal les ait signalés ou y ait fait allusion.
Assez drôle. Ordinairement les journaux font écho au moins à une série d'articles écrit par un auteur de cette classe sur un sujet d'actualité !
Vous dites vrai : assez drôle, très drôle même ! Je parle quelquefois de la conspiration du silence : je serais tenté d'appliquer l'expression dans ce cas.
Quoi donc ? Expliquez-vous.
Croyez bien, mon ami, que les journaux ne se payent pas par la circulation, mais par l'annonce. Ils sont plus ou moins, quoi qu'ils affirment, sous l'influence de ceux qui les alimentent d'annonce ; les annonces viennent de l'industrie ; celle-ci est contrôlée par la finance. On trouve d'ailleurs des directeurs de banque dans les conseils d'administration des journaux.
En quoi le Crédit Social peut-il inquiéter ces, puissances ?
Le Crédit Social est tellement plein de gros bon sens, tellement humain, tellement équitable pour le consommateur et le travailleur que, s'il vient à être connu, tout le monde le réclamera. Alors, ceux qui tiennent les rênes aujourd'hui et qui exploitent les masses craignent de voir venir la fin de leur règne. Leur mot d'ordre est : "Mort à ce nouveau-né le Crédit Social ! Si vous ne pouvez le réfuter victorieusement, n'en parlez pas. Une petite pointe de moquerie de temps en temps pour le ridiculiser ; à part cela, silence absolu !"
Ne cédez-vous pas à votre imagination en disant cela ?
Je constate des faits et je les interprète.
Le distingué religieux que vous citiez tout à l'heure approuverait-il cette déclaration ?
Je lis dans sa brochure (p. 23) :
"Défiez-vous d'eux (les journalistes qui défendent les intérêts confiés à leur plume), même lorsqu'ils abordent le Crédit Social sous son aspect économique. Les politiciens régnants pressentent dans ce nouveau mouvement une force politique qui monte et les menace ; les banquiers y voient l'ennemi acharné de leur monopole. Ne vous étonnez donc pas si leurs publicistes, d'un commun accord, entreprennent de réfuter sa doctrine ou de la ridiculiser : ce qui est beaucoup plus facile et demande moins d'intelligence."
Est-ce que tous les journaux en sont là ?
Il y a des exceptions. "L'Action Catholique" de Québec ouvre ses colonnes aux pros et aux cos du Crédit Social ; elle est très généreuse pour annoncer les activités du Crédit Social. Je voudrais nommer d'autres grands journaux de notre province, mais je n'en connais pas.
Et vous dites que le Crédit Social serait réclamé si on le connaissait ?
C'est mon opinion, et c'est pourquoi j'ai cru que ces "Cahiers" multiplieraient les adhérents au Crédit Social en exposant clairement et simplement sa nature et ses propositions.
Encore faut-il qu'ils soient lus !
C'est là le point. Vous qui les connaissez, si vous les trouvez utiles, travaillez à les répandre. Ils combleront une lacune.
Comment cela ?
L'école, même dans les classes avancées, nous laisse ignorants en fait de questions économiques, de questions monétaires surtout, qui nous touchent pourtant de si près.
Et comment l'étude du Crédit Social peut-elle nous renseigner là-dessus ?
- Parce que le Crédit Social est un système monétaire proposé pour remplacer le système monétaire actuel qui remplit mal son rôle.
- Voilà encore une accusation !
- Oui, mais bien méritée.
- Assertion facile. Pouvez-vous prouver ?
- Oui, par une simple considération du fonctionnement du système économique.
- Qu'appelez-vous système économique ?
- Le mécanisme qui gouverne la production et la distribution de la richesse d'une nation.
- Et ce mécanisme tel que nous l'avons aujourd'hui ne fonctionne pas bien ?
- La production, oui. Mais la distribution, non.
- Expliquez cela un peu.
- On peut dire que le système économique comprend trois systèmes subsidiaires : le système producteur, le système financier, le système consommateur. Il ne peut bien fonctionner si l'une de ces trois parties est malade.
- Vous venez d'insinuer que le système producteur n'est pas défectueux ?
- Il est superbe. L'homme a triomphé des difficultés de la production. Nous modérons et limitons la production aujourd'hui, faute de consommation, mais nous pourrions produire immensément plus et développer davantage encore, très facilement, notre capacité de production.
- Puisque la consommation fait défaut, le mal est-il chez le consommateur ?
- Le consommateur n'est pas en grève. Il déborde de désirs et même de besoins réels. Le consommateur canadien n'a jamais dit encore : Cessez de produire parce que je suis rassasié.
- Alors le mal est entre les deux, entre le producteur qui ne demande qu'à fournir des produits et le consommateur qui réclame ces produits ?
- Exactement. Le défaut est dans la distribution. Non pas au point de vue physique, car les moyens de transport ne font pas défaut, mais au point de vue financier. C'est la finance qui ne remplit pas son rôle. Producteurs et consommateurs sont là, mais il manque l'intermédiaire d'échange, la monnaie.
- Et le manque de monnaie paralyse tout ?
- Absolument. Le consommateur sans monnaie n'achète pas. Le producteur qui ne vend pas arrête de produire. La production arrêtant, la monnaie ne passe pas au travailleur consommateur et le mal empire.
- Il y a quelque chose de vicieux quelque part ?
- Vicieux et vicié. La monnaie fut instituée, pour servir d'outil du commerce, d'intermédiaire d'échange. Mais elle est tombée sous le contrôle de quelques hommes privés qui la traitent comme une marchandise dont ils font le commerce en cherchant leur profit.
- Qu'est-ce que le Crédit Social veut faire pour corriger cela ?
- Le Crédit Social veut reprendre le contrôle de la monnaie des mains du monopole privé et le remettre où il appartient de droit, à la nation, à la société. Puis le Crédit Social veut mettre juste assez d'argent entre les mains des consommateurs pour acheter tous les produits dont ils ont besoin et que les producteurs sont capables de fournir.
- Ce qui veut dire que plus on pourra produire de biens qui répondent aux désirs des consommateurs, plus il y aura de monnaie pour permettre à ces biens d'atteindre le consommateur ?
- C'est cela même. Tout ce qui est matériellement possible doit l'être financièrement.
- Mais est-ce une chose réalisable ?
- Pourquoi pas ? Le système financier institué par l'homme doit être son serviteur, non son maître.
- N'y a-t-il pas à craindre que les contrôleurs mettent la main sur la nouvelle monnaie que le Crédit Social veut mettre en circulation pour combler ce qui manque.
- Ce serait à craindre si la création et rémission de monnaie se faisait comme aujourd'hui, mais le Crédit Social a une méthode toute différente, qui élimine du tableau les contrôleurs privés de la monnaie.
- Montrez en quoi la méthode de création de la monnaie diffère.
- Sous le système actuel, la monnaie est créée par des banquiers privés, en vue de leur profit personnel.
- Sous le Crédit Social, la monnaie sera créée par le bureau, de Crédit National, selon les besoins du pouvoir d'achat de la nation par rapport à la production.
- Et en quoi la méthode de distribution diffère-t-elle ?
- Sous le système actuel, la monnaie créée par les banques n'entre en circulation que par voie de l'industrie. Le travailleur reçoit les gouttes, les capitalistes accaparent le flot.
- Sous le Crédit Social, la nouvelle monnaie ira directement au consommateur ; ce sont les achats du consommateur qui financeront l'industrie.
- Cela semble, en effet, un bon moyen de démolir la concentration de la richesse et la mainmise des trusts. Mais n'est-ce pas donner trop d'importance au consommateur ?
- Tout le monde est consommateur. Donner la souveraineté au consommateur, c'est la donner à la nation, c'est la véritable démocratie. D'ailleurs, la production n'a-t-elle pas pour but la consommation ? Pourquoi les Dardanelles financières qui restreignent la distribution ?
- Mais il faut des produits pour que le consommateur exerce son pouvoir d'achat ?
- Certainement, et jamais il n'est question dans le Crédit Social de distribuer de la monnaie sans produits pour en répondre.
- Comment donc se fait la distribution de monnaie nouvelle ?
- De deux manières : 1° Par un escompte national de détail, qui s'applique à tous les produits achetés par le consommateur ultime ; cet escompte, compensé entre les mains du marchand par la création de nouvelle monnaie, représente une augmentation de pouvoir d'achat du consommateur. 2° Par un dividende distribué directement au consommateur, donc à tous les citoyens.
- Qu'est-ce qui règle le montant de l'escompte et du dividende ?
- L'excédent de la capacité de production sur la capacité d'achat.
- Voilà qui ouvre de vastes horizons, mais devient un peu technique.
- Oui et ces horizons s'élargiront encore, en même temps que vous saisirez mieux la technique du Crédit Social, à mesure que nous avancerons dans cette étude.
- Une foule de questions surgissent dans mon esprit : Ne va-t-il pas y avoir inflation ? Abus de Monnaie ? Ne dit-on pas dans des livres d'économie fort vénérés que toute production libère assez de pouvoir d'achat pour permettre l'écoulement du produit ?
- Je répondrai à ces questions et à bien d'autres au cours des chapitres qui suivront. N'oubliez pas que nous en sommes aux notions préliminaires.
Avant d'aller plus loin, repassez cette introduction et ne manquez pas le prochain numéro des "Cahiers."
(A suivre)
Le "Catéchisme du Crédit Social" forme une des séries que nous continuerons de mois en mois. Une autre sera inaugurée dans le second numéro, intitulée "Sous la lentille du Crédit Social" ; ce titre indique assez en quoi elle consistera. Nous prions nos lecteurs de nous adresser les découpures de journaux ou de revues qui parlent du Crédit Social, en bien ou en mal. Libre aussi aux lecteurs des Cahiers de poser des questions sur certains points traités qui leur paraissent obscurs ; il en naîtra la rubrique "Questions et Réponses."
La lecture d'articles sur le Crédit Social et sur les heureux effets qui résulteraient de son instauration font souvent surgir la question : Mais quand aurons-nous le Crédit Social ? Y a-t-il des pays au monde où le système est en vigueur ?
On sait assez généralement que l'Alberta a voté Crédit Social en août 1935 et le nom de cette province s'associe généralement dans l'esprit du lecteur canadien avec l'idée de Crédit Social.
On a moins parlé de la Nouvelle-Zélande et du résultat des élections tenues dans ce pays en décembre dernier.
Le câblogramme suivant adressé le lendemain de ces élections par le capitaine Rusworth, un des élus, au New Times de Melbourne, n'a pas fait le tour de la presse. On l'eût reproduit en première page, encadré, s'il avait chanté une autre chanson :
"Élection générale ici, véritable vague de haute marée contre le gouvernement qui s'est montré serviteur du monopole de la monnaie. Tout fut mis en œuvre pour éviter que l'élection fût un verdict sur la question monétaire. Les journaux de ce Dominion reçurent tous instruction de s'abstenir de parler monnaie jusqu'après les élections, et ils obéirent avec une remarquable unanimité, exception faite d'un hebdomadaire illustré. Nouveau parti intermédiaire lancé immédiatement avant les élections, afin de jeter la confusion. Quotidiens métropolitains, presse rurale et organisation de partis unis pour lancer un flot grossissant de propagande dépassant tous les efforts passés. Et cependant, le parti ouvrier, autrefois l'opposition officielle, a capturé cinquante-trois sièges sur quatre-vingts. Or ce parti s'est engagé, comme premier objectif bien défini, à contrôler le système monétaire par une autorité de Crédit national qui administrerait au nom du parlement souverain — puis à édifier un système monétaire sur une base scientifique, de façon à permettre à la consommation d'égaler le maximum de production. Cinq indépendants aussi élus pour appuyer le même programme de réforme monétaire. Action va suivre. On peut s'attendre à une grande bataille entre les puissances monopolistiques de la monnaie et la puissance du peuple. La lutte est là, mais la victoire assurée. Les adhérents au mouvement Douglas couvrent toutes les nuances d'opinion politique, mais se sont tous ralliés pour appuyer les candidats opposés à l'ancien gouvernement. La victoire complète du parti ouvrier, tant dans les villes que dans les campagnes, est due surtout au mouvement Douglas. Malgré tous les efforts dans le sens contraire déployés par les forces combinées de la finance et du gouvernement, la véritable question en jeu dans cette campagne a été le contrôle et la réforme du système monétaire."
Tant pour la Nouvelle-Zélande.
Le cas de l'Alberta.
Les actes du gouvernement Albertain ont beaucoup prêté à critique, jusque parmi les partisans du Crédit Social. Naturellement, où les uns se plaignent qu'Aberhart innove, d'autres le jugent trop lent. De sa propre province, j'ai reçu moi-même des lettres exprimant les deux opinions.
Les gens d'Alberta n'ont pas encore touché de dividendes, c'est vrai ; mais avant même les élections qui portèrent le parti au pouvoir, le chef déclarait clairement qu'il faudrait dix-huit mois de préliminaires. Or il n'est là que depuis douze mois. (Nous écrivons ceci le 25 août.)
On a critiqué la hausse des prix, l'imposition de nouvelles taxes, toutes choses qui sont l'exact opposé du Crédit Social. Mais on semble oublier que l'administration actuelle a hérité du gâchis d'une situation déplorable, non pas le fruit de l'administration précédente que nous sommes loin de vouloir critiquer, mais fruit d'un système qui ne peut qu'accumuler des misères et des ruines.
Il reste cependant des faits qui démontrent que le nouveau gouvernement albertain semble déterminé à placer l'homme au-dessus de l'argent. Quel autre gouvernement a osé dire aux maîtres de la monnaie : Vous aurez tant d'intérêt, et pas plus ? Cette loi de la réduction des taux d'intérêt sur les obligations vaut à elle seule une victoire signalée, non pas uniquement à cause de la restitution à la province de crédit qui s'écoulait vers les poches de quelques écumeurs, mais aussi par l'exemple posé, par la répercussion qu'il aura immanquablement en d'autres milieux.
Les certificats de prospérité sont-ils du Crédit Social tel que l'explique le système Douglas ? Non, mais ils constituent un prêt à la province par son gouvernement. Prêt remboursable par petits versements et à très bas taux d'intérêt, dans le genre de ce qui se pratique dans nos Caisses Populaires. Est-ce si mal ? L'intérêt d'ailleurs est pour frais d'administration et repasse dans le public. N'est-ce pas infiniment mieux qu'un prêt par les banques que la province devrait également rembourser, et avec intérêts, ceux-ci au profit des prêteurs ?
C'est un gros coup asséné à la finance habituée à dicter ses volontés aux gouvernements. Aussi s'est-elle émue et ses satellites ont protesté jusqu'à Ottawa, jusqu'à Londres. On peut compter pourtant qu'elle n'en est pas à ses dernières expériences. Le gouvernement Crédit Social d'Alberta a reçu mandat d'établir, dans la mesure du possible, un régime provincial Crédit Social et il est bien déterminé à en venir-là.
Il doit certainement envisager des difficultés plus grandes que s'il s'agissait d'un gouvernement souverain, comme le Canada entier ou la Nouvelle-Zélande. L'Alberta ne jouit pas encore d'une grande diversité d'industries et c'est un obstacle. Le régime Crédit Social aura justement pour effet de corriger cette lacune qui l'oblige à procéder par étapes et un peu plus lentement. N'allons pas le lui reprocher. Vous avez promis, disons, d'aller de Québec à Vancouver ; après un laps de temps et des efforts très laborieux de votre part, on vous trouve à Montréal, en train de projeter une autre avance vers l'ouest ; sera-t-il juste de vous blâmer parce que vous n'êtes pas encore à Vancouver, alors que vous avez dû contourner de grands obstacles et prendre des voies moins directes ?
Quoi qu'il arrive, il restera à l'Alberta l'honneur d'avoir été le premier pays à réclamer par un vote prépondérant l'abolition de la pauvreté au sein de l'abondance. Le peuple de cette province ne reculera plus et obtiendra ce qu'il veut parce que c'est une chose possible.
Il ne faudra pas non plus s'étonner si d'autres provinces épousent la même cause et hâtent l'avènement définitif du Crédit Social dans tout le Canada. Il existe telles choses que des écritures sur la muraille. Mais combien ne savent pas voir, encore moins lire !
Remarquez ce qui s'est passé au Manitoba. Pour le superficiel, c'est un échec : le Crédit Social y a présenté vingt candidats et n'en a élu que six ! Pour nous qui étions un peu plus au courant de la situation du mouvement du Crédit Social au Manitoba, c'est un résultat superbe et inespéré qui laisse prévoir bien d'autres succès dans un avenir rapproché.
Le gouvernement Bracken prit l'électorat par surprise, sans doute parce qu'il flairait l'ascension de forces nouvelles et voulait s'assurer quatre ou cinq ans de règne avant qu'elles affichent un peu d'ampleur. Nul n'avait prévu des élections avant le printemps prochain. En face de la dissolution inattendue du Parlement, la Ligue du Crédit Social, encore dans son enfance, sans fonds, sans chefs, hésita à se lancer dans l'arène. Le travail d'éducation de l'électeur sur la question du Crédit Social était tout à faire. N'est-ce pas merveille que, dans le court espace de quatre semaines, nos amis du Manitoba aient pu semer, cultiver et récolter quelque chose de tangible ? Preuve que le Crédit Social répond à un besoin général.
Allons-nous parler d'un mouvement Crédit Social dans la Province de Québec ? Assurément. Il est né, il se répand, on a voulu l'étouffer par la moquerie et le sarcasme d'abord, par calomnie ensuite, par le silence en désespoir de cause. Mais il est là qui s'étend et va tout couvrir.
Ceux qui croyaient encore récemment que la Province de Québec est rivée à la routine, inviolablement attachée à un parti, incapable de voter pour un mouvement, ont dû s'écarquiller les yeux le soir du 17 août.
Voilà un fameux premier coup de botte à des idoles et le pied qui l'a administré ne s'en trouve que plus vigoureux et mieux entraîné pour achever l'œuvre. L'intervention et l'éloquence des gros canons rouges d'Ottawa n'a rien empêché et certains grands apôtres "des grands partis qui ont fait le Canada" doivent se demander si leur soleil politique ne touche pas à son couchant. Le peuple est las de voter pour les marionnettes de la finance et il croit que l'heure est venue d'être le maître chez lui, d'avoir le droit de gagner son pain et de jouir du fruit de ses labeurs.
À cette œuvre de libération, nous voulons contribuer de toutes nos forces.
La Province de Québec a maintenant sa Ligue du Crédit Social. Les partisans du Crédit Social se faisant de plus en plus nombreux dans différents districts, ont cru qu'il était temps d'unir leurs forces et de concerter leur action.
La Ligue fut fondée à Québec le 18 mai et des assemblées d'organisation tenues à Montréal, le 7 et le 23 août, pour l'analyse et l'adoption d'une Constitution.
Le but de la Ligue est de promouvoir l'étude des principes du Crédit Social, afin de hâter au Canada l'instauration d'un système monétaire Crédit Social.
Toute personne qui désire se faire propagandiste du Crédit Social peut adhérer à la Ligue. Adressez vos demandes d'admission au Secrétaire de la Ligue du Crédit Social de la Province de Québec, 508 rue Saint- François, Québec.
La Ligue accepte comme membres des individus isolés, mais encourage la formation de groupes locaux qui pourront prendre le nom de Clubs ou de Cercles du Crédit Social. Le groupe permet la représentation par un directeur qui agit comme délégué du Cercle aux réunions du bureau de direction de la Ligue. On se sent mieux les coudes dans un groupement et l'on s'y consacre beaucoup plus effectivement à des activités de propagande.
Les Cahiers du Crédit Social ne sont pas l'organe officiel de la Ligue, et n'engagent pas sa responsabilité ; mais ils collaborent avec elle et nous croyons que les ligueurs les trouveront utiles, non seulement pour eux-mêmes, mais pour le public qui les entoure. Il est des doctrines qui ne demandent qu'à être expliquées pour gagner les esprits, parce qu'elles sont sensées et répondent à un besoin. Le Crédit Social est de celles-là. Les Ligueurs le savent et ne cherchent pas à se multiplier autrement qu'en s'instruisant eux-mêmes et en faisant la lumière autour d'eux.
L'étude est à la base de toute action efficace. Les conquêtes durables ne se font pas par la force, mais par la persuasion.
L'étude précède et accompagne l'action. L'étude qui ne se résout pas en action revêt un certain cachet d'égoïsme. Lorsque, surtout, il y a tant d'injustices à corriger, tant de souffrances à soulager, tant d'espoirs tombés à relever, les bras croisés n'ont pas leur place.
Il est d'ailleurs réconfortant de constater le zèle qui anime tous ceux qui comprennent un peu le Crédit Social. C'est que le Crédit Social offre une solution concrète et immédiate à une foule de problèmes aigus. D'où la grosse différence entre les professeurs de l'économie nouvelle et les vénérables occupants des fauteuils de l'orthodoxie. Ces derniers vivent de dissertations ; ils ont peut-être leur part suffisante de Crédit Social et ne sentent pas bien ce qui en manque aux autres ; ou n'est-ce pas plutôt que les vieilles théories dont ils ne veulent se départir s'adaptent mal à un siècle de puissance et d'abondance ?
Aux amis du Crédit Social, il ne semble pas nécessaire de prêcher l'action, la suggestion de moyens paraît plus utile.
Il en est qui voudraient bâtir grand du premier coup, rêvent de conquêtes en masse et se découragent parce que, dans la pratique, les progrès sont moins rapides. Les grandes réunions, les démonstrations imposantes ont certainement leur valeur et sont un excellent mode d'annonce ; mais le véritable travail se fait dans de petits groupes. La nature ne procède pas autrement et son œuvre est immense ; les organismes se développent par la multiplication des cellules.
Livrez-vous donc de tout cœur à ce travail immédiat. Vous n'êtes que quatre ou cinq pour former un cercle : c'est assez. Les petits groupes ont l'avantage de se prêter mieux peut-être au développement de leurs membres ; si l'on y dispose de moins de têtes, chacune a plus de chance de donner son plein rendement. Nous reviendrons sur ce point.
Saisissez toutes les occasions de propager la connaissance du Crédit Social. Êtes-vous embarrassé pour aborder le sujet, servez-vous de ces "cahiers." Ils existent pour cette fin, pour enseigner sans ennuyer, attendant patiemment que l'heure de lassitude soit passée pour retenir l'attention du lecteur.
Offrez donc ces Cahiers, distribuez-les à temps et à contretemps aussi. Vous voudrez préserver votre numéro, c'est juste, mais la provision n'en est pas épuisée. Vous offrez un verre de bière à votre ami, vous lui faites plaisir et il vous remercie. Pour le même cinq sous, vous lui offrez un numéro des "Cahiers" il esquisse une surprise, mais il l'appréciera et sa reconnaissance sera plus durable. Essayez. Ce simple geste aura peut-être une portée que vous ne soupçonnez pas. J'en pourrais citer des exemples frappants, si je ne craignais de blesser des modesties.