Il semble que la valeur d'un gouvernement se juge par son habileté à équilibrer son budget. Et s'il réussit à réaliser un surplus, c'est le summum de la grandeur.
Un gouvernement qui équilibre son budget se hâte de le proclamer avec fierté. Pour analyser un peu ce sentiment de fierté, nous proposons la formule d'annonce suivante ou quelque chose d'analogue :
Notre gouvernement se réjouit de pouvoir présenter un budget équilibré. Nous avons réduit le nombre de fonctionnaires, diminué le salaire de plusieurs autres. Quelques services ont pu souffrir ; mais la sauvegarde de l'orthodoxie financière imposait ces sacrifices. On nous a sollicité d'entreprendre des améliorations hygiéniques et d'autres, de secourir des membres souffrants de notre société ; nous reconnaissons le bien-fondé, l'urgence même de ces améliorations et de ces secours, mais il nous a fallu les remettre, pour ne pas compromettre nos chances de succès auprès de nos créanciers.
À force de travail, de surveillance et de persévérance, nous avons réussi à extraire de la poche de nos administrés suffisamment de revenus pour maintenir un minimum de services publics indispensables et satisfaire l'intérêt sur la dette consolidée. Les banquiers sont tellement contents de notre administration qu'ils se montrent disposés à mettre encore leur plume magique au service du gouvernement en lui fabriquant de nouvelles chaînes.
Le profane ne s'imagine pas quel doigté il nous faut déployer pour alimenter les buveurs du sang du peuple sans que celui-ci se révolte complètement. Nous secouons les endormis et soufflons des mots ravigotants dans l'oreille des découragés, nous poussons l'industrie à augmenter sa production et à vendre le plus cher possible de façon à nous donner un pourcentage pour équilibrer le budget. Le peuple se plaint-il, de la hausse des prix, nous lui faisons dire par des écrivains respectés que c'est un signe de retour à la prospérité. Avec une diplomatie consommée, des phrases tantôt mielleuses, tantôt claironnantes, une affiche de piété et de patriotisme, nous réussissons à faire croire au peuple que la saignée est pour son bien. Et quel réconfort, en effet, pour ce peuple, et quelle gloire pour nous, nous avons équilibré le budget !
La douce tape de reconnaissance de Maître Banquier sur notre épaule fait oublier toutes nos veilles. Quelle récompense d'entendre la voix du maître : Bon et fidèle serviteur, tu as bien mérité de la bancocratie. Continue de marcher dans les voies de l'orthodoxie... Défie-toi des prêcheurs de réforme. Un peuple qui cherche son confort avant le mien s'en va à la ruine. Tu as bien administré. Ton peuple est héroïque. À toi l'assurance de notre appui. À ton peuple les miettes que, dans notre magnanimité, il nous plaît de lui laisser. Demain, tous les journaux du pays chanteront tes louanges et te présenteront les hommages d'une nation d'esclaves en liesse.
L'équilibre du budget est-il donc le critère de la satisfaction d'un peuple ? Signifie-t-il l'abolition des taudis, le pain sur la table du consommateur, des vêtements dans son garde-robe, du repos pour les travailleurs fatigués, de l'aide pour la femme qui ploie sous le fardeau de journées interminables, la sécurité économique pour ceux et celles que harcèlent les privations d'aujourd'hui et les incertitudes de demain ? Avec beaucoup plus de bon sens, le roi de France Henri IV visait à ce chaque famille de son royaume pût "mettre la poule au pot tous les dimanches." Ce Bourbon, aurait dû vivre de nos jours, quand l'agriculture, l'industrie, les applications de la science rendent le problème si facile.
— Alors, sous un régime de Crédit Social, on n'équilibrera pas les budgets ?
— Oh ! mais oui, et sans se mettre l'esprit à la torture. Mais au lieu d'un budget ortho-doxe, ce sera un budget ortho-logique La comptabilité nationale sera un peu plus complète et interprétée beaucoup plus humainement. La société paiera les dividendes à ses membres au lieu de les servir à ses ennemis. Elle n'arrachera pas le pain des mains de ses enfants quand ses greniers débordent. Elle ne réduira pas les services publics quand il y a tant de mains et d'esprits disponibles. Rien n'empêchera de "mettre la poule au pot tous les dimanches" quand on ne manque ni de poules, ni de pots, ni d'appétit.
"LA CRISE ET SON REMÈDE, LE CRÉDIT SOCIAL”
— C'est le titre de la brochure de M. Armand Turpin. Ce jeune industriel de Hull, brillant talent cultivé par l'étude constante, vaut un bataillon pour le Crédit Social ; toute la province le connaîtra un jour. En attendant, l'opuscule qu'il vient de publier doit être sur le bureau ou dans la bibliothèque familiale de tous ceux qui s'intéressent au Crédit Social. Ni traduction ni importation, mais production de chez nous, en français limpide : 64 pages bien aérées, caractères très lisibles, titres et sous-titres saillants, couverture en couleurs où domine le vert de l'espérance. Créditiste dans sa forme comme dans son fond, cette brochure l'est jusque dans son prix, abaissé au niveau du pouvoir d'achat le plus modeste : 10 sous seulement. Commandez à l'une des deux adresses suivantes :
Ligue du Crédit Social de Hull, 210, rue Montcalm, Hull, P. Q..... Louis Even, Gardenvale, P.Q.
Si ce numéro-ci est un hommage aux banquiers, le prochain sera plus particulièrement consacré aux adversaires du Crédit Social. Quelques-uns de ces personnages pourraient nous réciter de gros manuels et promènent d'ailleurs de nombreuses initiales après leurs noms ; d'autres, avec une majesté brahmanique, nous soupçonnent de vouloir abaisser le niveau moral de l'esclave moderne. Ne faudra-t-il pas user de circonspection ? Pourtant nous apprenons de source fiable qu'un certain loustic se propose d'acheter à la Pharmacie de Montréal un acide spécial, anti-euphémique, qu'il introduira en cachette dans l'encrier du rédacteur. Alors !...