Mais la distribution d'un dividende national à tous les citoyens du pays, lorsque les conditions de la production le permettent et autant qu'elles le permettent, peut-elle nuire à quelques particuliers ou à quelque classe ?
La question vaut d'être posée. Si, en effet, le dividende, tout en rendant service à un grand nombre, allait contre les intérêts légitimes de quelques-uns, il y aurait lieu de s'insurger, ou au moins de critiquer l'idée d'une répartition de dividendes. Nous avons aujourd'hui les secours directs pour les chômeurs. Mesure d'urgence, a-t-on dit, qu'il a fallu adopter en attendant la réabsorption des travailleurs par l'industrie, mais tout en convenant que les secours directs, en soulageant la misère des victimes du désarroi économique, sont répréhensibles à bien des points de vue. Les fonds servant aux secours directs sont prélevés sur le revenu actuel ou futur de ceux qui ont un revenu. Pour fournir un pouvoir d'achat minimum aux secourus, ils diminuent le pouvoir d'achat des autres. Si les secours sont financés par des avances bancaires aux gouvernements, on sait ce que cela signifie ; l'injection actuelle de pouvoir d'achat par cette méthode implique la contraction plus grande du pouvoir d'achat à venir par le remboursement du capital qui sera annulé et de l'intérêt qui affermira la puissance des contrôleurs de notre vie économique.
De plus, le secours direct démoralise, parce qu'il punit le travail. Le secouru qui accepte de travailler, même à salaire ne permettant pas de vivre décemment, perd le droit à ses allocations de chômage.
Le secours direct humilie le chômeur, qui sait — et on le lui fait dire et sentir — qu'il est à la charge des autres, qu'il vit des aumônes forcées de ses concitoyens.
Le dividende du Crédit Social n'a aucun de ces caractères malfaisants. C'est un revenu distribué à tous, parce qu'il appartient à tous. Il ne crée de charge pour personne, ne nécessite aucun emprunt, aucun impôt. Il ne crée pas d'inflation, parce qu'il est conditionné par la présence potentielle des produits.
Ce n'est sûrement pas le consommateur qui souffrira de recevoir cette augmentation de revenu. Ce n'est pas non plus le marchand, puisqu'il verra augmenter son commerce ; il sait bien que c'est l'acheteur avec de l'argent en poche qui compte pour lui.
Est-ce à l'industriel que le dividende national ferait tort ? L'écoulement des stocks n'est-il pas la condition essentielle de la marche de son entreprise ?
L'ouvrier souffrira-t-il du dividende ? À titre de consommateur, non évidemment. À titre de producteur, pas plus, puisque son salaire et même son emploi dépend de la vente des produits.
Le propriétaire, l'épargnant peuvent se plaindre d'être taxés par les secours directs. Le dividende ne taxe personne. C'est une création de monnaie nouvelle, exempte de dette, exempte d'intérêt, qui va permettre d'écouler une production autrement accumulée ou supprimée. Le capital placé dans l'industrie continue d'avoir droit à sa récompense, et plus sûrement qu'aujourd'hui, justement parce que, grâce à la finance du consommateur par l'escompte compensé et par le dividende, l'industrie trouve un marché pour ses produits. Le travail continue de retirer ses salaires, lui aussi mieux protégé qu'aujourd'hui parce qu'il n'a plus à craindre la paralysie de la production. Le fournisseur de la matière première continue d'en recevoir le prix. Personne n'est lésé. C'est le surplus de production, actuellement immobilisé, que le dividende propose de distribuer. Le refuser, c'est détruire la richesse, c'est établir le règne de la pauvreté en face d'une capacité de production abondante, c'est maintenir injustifiablement le consommateur dans le besoin, les familles dans la souffrance, l'ouvrier dans le chômage, l'industrie dans le marasme, le contribuable dans le désespoir, les gouvernants dans la servitude, jusqu'à ce que le peuple ostracisé se soulève, que les passions et le désordre s'installent là où les progrès de la science et de la civilisation permettaient de voir fleurir l'ordre, la paix et la satisfaction.