Nous ne pouvons certainement pas publier ce numéro spécial des Cahiers sans un article particulièrement destiné à nos lectrices, de plus en plus nombreuses, qui nous comprennent toutes et dont plusieurs se font les ardentes propagatrices du Crédit Social. Et c'est juste que les femmes s'y intéressent, naturel qu'elles s'y attachent.
Qui donc se casse la tête pour tirer d'un trop rare dollar le pouvoir d'achat qu'il ne contient pas ? Pour habiller, chausser, nourrir, toute une famille sans en avoir les moyens ? Pour trouver quelque soulagement à ceux que la maladie éprouve ? Pour rendre les enfants capables de suivre l'école ?
Qui se casse la tête pour mettre une note de gaîté dans la maison ? Pour attacher au logis des grands garçons et des grandes filles que la vie trop terne ou les privations continuelles en éloignent ?
Qui se casse la tête pour satisfaire à la fois le propriétaire, l'épicier, le boucher, le médecin, le fournisseur des articles indispensables dans la maison ?
Qui se casse la tête pour essayer de se persuader et de persuader la maisonnée que demain sera mieux qu'aujourd'hui, même si aujourd'hui est pire qu'hier ? Femmes, épouses, mères, répondez.
Qui souffre de ne pouvoir renouveler le linge et les chaussures des enfants ; de ne pouvoir placer sur la table des mets plus délicats pour des estomacs faibles ? Qui souffre d'avoir toujours à se limiter au bon marché, quand tant d'articles intéressants invitent dans les annonces et les vitrines ?
Qui souffre de voir le chef de famille incapable de trouver un emploi ou réduit à un travail pénible et fatigant pour un mince salaire ? Qui souffre de ne pouvoir faire donner une éducation avancée à des enfants pleins de talents et qui doivent se morfondre à la maison ? Qui souffre de l'abattement et du désespoir de grands garçons auxquels on barre toutes les portes, des déceptions de grandes filles au cœur brisé ?
Qui souffre d'entendre les plaintes quotidiennes dans un foyer qu'elles avaient rêvé de rendre joyeux ? Qui souffre de constater la révolte grandissante dans des âmes qu'elles ont aimées plus que la leur même ?
Qui souffre de ne pouvoir mettre plus de soleil dans la maison, procurer quelques distractions, montrer des horizons plus grands à des êtres chers qui s'étiolent entre quatre murs 365 jours par année ?
Qui souffre des conditions inhumaines et barbares qui désorganisent la famille et forment une génération de mécontents ?
Cœurs de mères, répondez.
Qui peine à la besogne du matin au soir, et souvent tard dans la nuit ? Qui travaille sans arrêter et ne voit jamais la fin de son ouvrage ? Qui doit être au poêle, au balai, à la brosse, à l'aiguille, à la cuvette à laver, au fer à repasser, au chevet des enfants ?
Qui s'use sans répit ? Qui ne peut se reposer dans un monde mécanisé ? Qui ne peut s'éloigner un peu dans un pays où il y a trop de chemins de fer et où l'on sollicite une invasion de touristes ?
Nous ouvrons ici une parenthèse pour répondre à quelques puritains qu'alarme le ton de ces questions. Il n'est pas rare de rencontrer des auteurs éloquents pour dépeindre la beauté de la vie de sacrifices imposée à la femme, mais qui ne voudraient pas eux-mêmes en porter la moitié. La femme au foyer, nous en sommes, mais la femme reine et non pas la femme esclave, la femme éducatrice et non pas l'éternelle cuisinière et ravaudeuse de bas. Le progrès doit être à son service. Nous ne voyons pas, par exemple, où est l'économie de temps et forces pour une femme qui passe des heures à rapiécer et re-rapiécer des bas quand, dans le même temps, l'industrie serait prête à en fournir des milliers tout neufs, à la grande satisfaction des travailleurs, des manufacturiers et des marchands. Il y a bien, il est vrai, ceux pour qui le temps et les forces de la femme ne comptent pas et qui ne calculent qu'en économie d'argent. Le vieux régime force à cette mentalité, mais il s'en va, et vite si les femmes savent s'en mêler.
Assurément les inventions modernes offrent des soulagements au travail domestique, telle l'utilisation du courant électrique dans des appareils de toutes sortes ; mais ce sont justement les femmes les plus chargées de famille et d'ouvrage qui doivent s'en passer : la finance remplit si bien son rôle !
Qui donc n'a pas le droit de se reposer ? Ménagères, répondez.
Qui s'inquiète quand la bourse est vide à la maison ? Quand des engagements contractés pour des achats ou des assurances ne peuvent être tenus ? Quand un mois tire à sa fin et que, malgré un régime de parcimonie, on ne voit pas où prendre l'argent pour le loyer ?
Qui s'inquiète quand un enfant tousse, perd l'appétit, donne des signes de fièvre et que la dernière facture du médecin n'est pas encore acquittée ?
Qui s'inquiète quand le gagne-pain est lui-même touché par la maladie, ou quand il arrive à la maison avec la nouvelle que son employeur doit diminuer son personnel ? Qui s'inquiète à la campagne quand les produits agricoles se vendent mal et que les créanciers s'impatientent ? Mères de famille, répondez.
Et parce que vous êtes celles qui se cassent la tête, celles qui souffrent, celles qui se fatiguent, celles qui s'usent, celles qui s'inquiètent, vous êtes aussi celles qui comprennent.
Vous comprenez que, si l'abondance règne on peut régner, il n'y a aucune raison pour qu'on lui refuse l'entrée dans les familles. Vous comprenez que, si les besoins sont nombreux sous votre toit et si, en même temps, l'industrie refuse vos maris, ou vos frères ou vos grands garçons, il y a quelque chose de désaxé dans le système. Vous comprenez que s'il y a tant de ventres creux quand les cultivateurs ne peuvent écouler leurs produits, c'est qu'il y a des imbéciles ou des criminels au gouvernail.
Vous ne vous laissez pas éblouir ou mystifier par des mots apocalyptiques, des déclarations sentencieuses d'économistes ou de politiciens. Ce sont les résultats qui comptent pour vous. Vous dites qu’un pommier est bon quand il vous fournit de bonnes pommes, mais qu'un système dont les fruits sont pourris ne peut être qu'un bois qui appelle la hache.
Vous voulez des résultats. Vous voulez un système qui fonctionne, un régime sous lequel il y ait moyen de vivre. Vous voulez des produits qui viennent dans votre maison au lieu de rester au magasin, et le marchand veut la même chose que vous. Et l'agriculteur et l'industriel veulent la même chose aussi. Et l'ouvrier qui mendie une place veut la même chose encore.
Mais l'ouvrier ne sait pas se faire entendre. L'industriel, l'agriculteur, le marchand se croient obligés d'obéir à la consigne du silence, parce qu'ils ne se sentent pas indépendants. Mais vous, femmes, qui vous fera taire quand vous savez que vous avez le droit d'être mécontentes, quand vous sentez que la mesure est pleine, qu'on se moque de vous, de vos maris, de vos enfants, de vos dévouements, de vos idéaux ?
Lisez un peu plus loin, dans ce bulletin, les deux pages sur la Ligue du Crédit Social. Vous apprécierez l'appel de la Ligue qui veut grouper les appuis et les petits sacrifices de la multitude pour sortir la multitude de l'esclavage, pour que l'on puisse respirer librement dans un Canada riche et grand. Sûrement, toutes les femmes du pays qui veulent la sécurité économique pour elles-mêmes, pour leurs maris, leurs enfants, leurs familles, seront capables de trouver un dollar par an et de s'enrôler dans la grande croisade de libération. Insistez près de votre mari pour qu'il se renseigne s'il doute encore, pour qu'il fasse sa part et ne soit pas un de ces tire-en-arrière toujours contents de récolter le fruit du travail et des sacrifices des autres. Mettez-lui martel en tête, et qu'il s'agite.
Puis, ayez votre mot de propagande aussi à l'occasion. Vous savez parler, vous savez répéter, vous savez insister, vous savez réclamer. L'heure est venue de nous donner le concours de cette force toute-puissante dont vous avez le secret. Électrisés par votre exemple, comme le furent les soldats découragés de la France réduite à une parcelle de territoire quand ils virent surgir Jeanne d'Arc et ses fanions, nos hommes vont à leur tour lever la tête, serrer leurs rangs, foncer et vaincre.