Les présidents de banque ont l'habitude de profiter des assemblées annuelles des actionnaires de leur banque pour prononcer des discours que les journaux reproduisent en entier, avec les photographies de leurs auteurs. Ce sont, remarque Today and Tomorrow, les harangues annuelles des pontifes de la finance. Mais le public qui les lit, de plus en plus éclairé par d'autres sources, et surtout par les événements, en est venu à prendre ces discours pour de la vulgaire propagande en faveur du système.
Ce qui suit est extrait de Today and Tomarrow, édition du 11 décembre, sous la signature de "Spitfire". Spitfire commente certaines remarques de MM. Huntley Drummond et Jackson Dodds.
Considérant la situation économique du Dominion, M. Drummond (de la Banque de Montréal) s'exprime ainsi :
"Lorsque nous disons que les affaires ont atteint au Canada un niveau sans précédent dans l'histoire de ce pays, nous ne rendons que pâle justice à l'effort déployé. Depuis le début de la guerre, une révolution industrielle et économique s'est produite dans ce pays".
Il est renversant d'entendre un chef de banque prononcer une telle condamnation du système bancaire — et apparemment sans s'en rendre compte.
Quels sont les faits ?
En temps de paix, avec tous les avantages d'un pays capable de produire pour la consommation domestique — et, dans un monde qui s'arme, de divertir une partie de l'effort productif pour construire une défense adéquate — notre économie a été torpillée et mise en pièces. La pauvreté, le chômage, la restriction de la production, l'impuissance économique générale, étaient à l'ordre du jour.
Mais la guerre venue, malgré la fermeture pour nous, de tous les marchés européens, sauf l'Angleterre, malgré le désavantage d'avoir à produire pour la destruction, "les affaires ont atteint au Canada un niveau sans précédent dans l'histoire de ce pays" !
Pourquoi la "révolution industrielle et économique" n'a-t-elle pas eu lieu avant la guerre ? Pourquoi des hommes, des femmes — et, honte à nous ! des enfants sans défense — ont-ils dû se priver de nourriture, de vêtements, d'habitations décentes, alors que les conditions existantes de la production auraient permis de leur fournir toutes ces choses ? Pourquoi les a-t-on laissé chasser d'une place à l'autre et traiter comme un bétail indésirable, alors que tout observateur demi-attentif savait très bien qu'on pouvait faire autrement —ce que l'état de guerre est venu prouver manifestement ?
Pour une réponse à ces questions, il n'y a qu'à examiner le rapport de M. Jackson Dodds :
"Le total de l'actif est passé, en une année, de $961,000,000 à $1,046,000,000, l'augmentation ayant surtout eu lieu dans les prêts, escomptes et placements... L'augmentation s'explique en partie par notre participation à l'achat, par les banques à charte, de $250,000,000 de signatures du gouvernement fédéral, avec intérêt à 1 pour cent, en décembre dernier".
En d'autres termes, cette banque, à elle seule, a créé environ 85 millions de dollars de nouvelle monnaie, sous forme de crédit bancaire, au cours de la dernière année. Elle a ainsi contribué, pour, sa part, à conduire les affaires du Canada "à un niveau sans précédent dans l'histoire de ce pays". Il est amusant de constater la manière naïve dont M. Dodds attribue l'augmentation de l'actif de sa banque à un prêt de sa banque au gouvernement fédéral.
L'augmentation de l'activité économique au Canada et l'expansion rapide de la production canadienne sont donc le résultat de la politique de "monnaie plus facile" de la part des banques à la suite de la déclaration de guerre. La guerre a balayé quelques-unes des restrictions financières qui entravaient le développement avant la guerre.
Comment qualifier un système qui exige une guerre pour permettre aux gens d'obtenir des revenus ?
En somme, un homme de Toronto doit faire une bombe pour lâcher sur Berlin, avant de pouvoir manger de la nourriture produite en Alberta. Et si la saison de fabrication de bombes n'est pas ouverte, notre homme n'a simplement qu'à moisir dans le chômage et la nourriture dans les entrepôts !
Ces sorciers de la finance sont-ils réellement incapables de VOIR les implications de leur système désastreux, avec des faits qui les accusent en pleine face ?
À la fin de son discours, M. Drummond exprimait l'opinion que, devant la guerre totale, et vu les inventions modernes, "il nous faut mettre de vieilles idées au rancart".
À Dieu plaise que lui et ses semblables soient les premiers à mettre de vieilles idées au rancart ! Mais le collègue de M. Drummond, M. Jackson Dodds, ne partage pas cet avis; et, dans son discours, il prend soin de s'élever contre ceux qui persistent à réclamer des réformes monétaires.