(La narration qui suit porte la signature d'E. W. Mason, de Washington, et fut publiée dans une récente édition de Money.)
Après la dernière guerre, l'Allemagne se trouvait tellement chargée de dette, tant à l'intérieur par ses emprunts de guerre qu'à l'extérieur par les réclamations des vainqueurs, qu'il était littéralement impossible pour elle d'en sortir par les méthodes orthodoxes.
Elle fit donc une émission de papier-monnaie non rachetable, qu'elle força les créanciers de l'intérieur d'accepter en paiement de ses obligations.
Cette mesure eut pour effet de libérer les dettes intérieures. Mais l'argent n'étant ni rachetable ni argent légal, perdit rapidement toute sa valeur, ruinant l'épargne et jetant l'économie du pays dans le désarroi.
Ce fut l'inflation dont on a tant parlé.
Les Alliés, eux, exigèrent de l'or en paiement, et l'Allemagne leur passa de l'or tant qu'elle en eut. Après quoi, elle offrit de payer en nature, en travaux ou en marchandises. Mais les pays créanciers ne voulaient pas de la production allemande ; elle aurait concurrencé la leur et mis leurs nationaux dans le chômage.
Ne recevant plus d'or de l'Allemagne et ne voulant pas accepter ses produits, les pays refusèrent naturellement de livrer des matières premières à l'Allemagne et celle-ci était sur le point de s'écrouler dans la misère noire lorsque, justement à la faveur de ce marasme, les Nazis s'emparèrent du pouvoir.
Récemment, je questionnai un touriste revenu d'Europe, et voici l'histoire qu'il me raconta.
Pour insuffler une vie nouvelle aux affaires, Hitler appela les manufacturiers de chaussures de la nation et s'informa de leur rendement. Ils répondirent qu'ils produisaient à peu près dix pour cent de leur capacité.
— "Retournez chez vous, leur dit-il, et produisez à pleine capacité."
Les manufacturiers répliquèrent qu'ils répondaient déjà amplement aux commandes. Que feraient-ils de leurs excédents ? Hitler leur assura qu'il achèterait tout le surplus de leur production.
— "Mais nous n'avons pas de quoi acheter le cuir !"
— "Je vous fournirai le cuir."
Les manufacturiers de chaussures se mirent à l'ouvrage. Les chapeliers, les industriels du vêtement, forts de la même garantie, firent de même. Tous les établissements reprirent ainsi leurs activités.
La Reichsbank émit des marks en rapport avec cette production. Les nouveaux marks entrèrent en circulation. Les ouvriers de la chaussure, du vêtement, de la machinerie, des laboratoires, du transport, et autres, qui avaient chômé jusque-là, prenaient maintenant l'argent de leurs salaires et achetaient la production des autres. D'où activité générale qui atteignit vite son maximum dans tous les domaines.
Ce récit, naturellement, m'intéressait. Mais, j'ai l'habitude, chaque fois que j'entends une histoire de cette sorte, de me poser la question : Qu'est-ce qu'il y a de vrai là-dedans ?
Celle-ci était simplement trop renversante pour être croyable sur parole.
Or, le récit m'avait été fait dans le bureau de M. Sam Massingale, membre du Congrès des États-Unis. Le congressman me dit :
"Mason, peut-on vérifier cette histoire-là ?"
"Je vais essayer," répondis-je.
En moins d'une minute, j'avais l'ambassade allemande au téléphone. On me répondit qu'un expert monétaire du gouvernement allemand était justement de passage à l'ambassade et que je pourrais causer avec lui. Nous y allâmes donc.
J'appris que l'histoire entendue dans le bureau du congressman était substantiellement vraie. Le gouvernement de Berlin avait agi sans faire connaître ni son plan ni sa méthode. Ce n'est qu'en décembre 1939 qu'il publia une circulaire sur le sujet.
L'expert allemand me passa un exemplaire de cette circulaire. Elle portait la signature du Dr Schacht lui-même, président de la Reichsbank lors de l'expérience.
Le plan, très simple, se résume à ceci :
"Mettre en circulation de l'argent liquide nouveau jusqu'à ce que tout le monde soit à l'ouvrage. À mesure que la nouvelle monnaie se répand dans la circulation, les manufactures commencent à marcher à plein, les chômeurs retrouvent emploi et l'on ne constate plus d'oisiveté forcée."
Ce programme débuta en 1933.
E. W. MASON, 53c St., S. E. Washington, D.C.
Au fond, le récit raconté par Mason n'apprend rien de nouveau. Tout l'univers sait qu'il y avait sept millions de chômeurs en Allemagne en 1933, et tout l'univers sait que, depuis ce temps-là, tous les Allemands valides ont été mis à l'ouvrage pour produire non seulement des choses utiles, de la nourriture, des vêtements, des routes, mais aussi des choses meurtrières qui sèment aujourd'hui la terreur et la ruine chez les voisins.
Tout le monde sait aussi que, sous un régime qui n'est pas du communisme pur, on paie le travail, on paie les travailleurs.
Donc, quand bien même le touriste n'aurait pas raconté son histoire, on saurait à l'évidence qu'il y a eu émission d'argent là où il en manquait pour payer l'emploi.
On devine aussi que le dictateur allemand s'est éloigné des règles financières en usage dans les autres pays comme le nôtre, puisque chez nous on n'a pas trouvé le moyen, en dix ans, d'avoir de quoi payer l'ouvrage offert et écouler les fruits de la production.
Mais de là à dire que Monsieur Adolf Hitler a trouvé la bonne formule et fait du crédit social, il y a une marge. Nous refusons absolument cette conclusion.
Le narrateur n'explique pas comment l'argent fait par la Reichsbank entre dans la circulation. Par des prêts aux industriels ou par des travaux publics et militaires endettant le gouvernement envers la Reichsbank ? Ou bien le gouvernement se fait-il donner l'argent nouveau pour les simples frais d'écriture et de comptabilité, pour ensuite l'employer à sa guise ? Ce serait bien conforme à l'esprit du dictateur, qui peut ainsi pousser, à son gré, une production de chaussures ou une production de bombardiers, une production de beurre ou une production de canons, une production de vérité ou une production de mensonge.
Nous abhorrons une telle méthode, et c'est pourquoi nous sommes irréductibles pour ceux qui nous disent : "Lâchez donc votre dividende national et ne parlez que d'argent fait par le gouvernement et employé par lui." Cela peut convenir à Hitler, à Mussolini ou au Père Lamarche. Certainement pas aux créditistes.
Toute dictature nous est en abomination, qu'elle soit exercée par le gouvernement ou par les banques, qu'elle s'arme d'un pistolet ou qu'elle tue par une plume empoisonnée, qu'elle affiche sa brutalité ou qu'elle masque ses desseins.
De ce qu'Hitler ait forcé l'argent à surgir pour mettre les Allemands à l'ouvrage, n'allons donc pas dire que Hitler a établi le Crédit Social. S'il avait fait du Crédit Social, il aurait été le plus grand artisan de la paix dans le monde. Au lieu que...
La finance directe de la consommation, réclamée par le Crédit Social, sans endettement, sans appauvrir les autres, n'a pas encore été mise en œuvre que nous sachions, sauf en Alberta, sur une petite échelle, par les bonis d'achat.
Le règlement qui veut mesurer le droit à la production uniquement par le travail apporté à la production devient de plus en plus dangereux avec le progrès de la science appliquée.
C'est à prévoir. C'est contraire à l'ordre, parce que c'est prendre le moyen pour une fin. L'économique a pour but de fournir des biens, pas d'occuper le monde. Le travail entre comme moyen dans le degré où il est nécessaire pour atteindre la fin.
Vouloir lier l'argent (le droit à la production) uniquement au travail, c'est donc subordonner la fin au moyen, et ça fait tomber d'autant plus bas que le progrès moderne élève davantage le niveau de la production.
Vouloir lier l'argent uniquement à l'emploi, c'est conduire nécessairement à l'étatisme, avec tout ce qu'il comporte de périls et d'asservissement.
Lorsque des travailleurs produisent des biens de consommation, ils reçoivent des salaires. Mais comme les machines leur aident, les prix de ces biens de consommation, des bonnes choses à vendre, dépassent de beaucoup l'argent distribué aux travailleurs.
Le marché étant déjà débordé, personne n'est bien intéressé à établir des manufactures nouvelles.
C'est là que le gouvernement se trouve forcé d'intervenir. Comme il tient aux vieux règlements, qu'il ne veut pas créer d'argent sans dette, il pille les poches par les taxes ou s'endette par les emprunts. Puis, pour sauvegarder le règlement de l'argent lié uniquement au travail, il embauche la main-d'œuvre, avec tout l'accompagnement de patronage qui débauche la politique.
C'est ici encore que, dans un monde à couteaux tirés, la fabrication de canons, de mitrailleuses, d'avions de guerre, devient une magnifique introduction : non seulement elle distribue de l'argent en produisant des choses qui ne se vendent pas, mais les armements n'ont pas l'inconvénient des biens de capital ordinaire, ils ne serviront pas à produire des choses bonnes à vendre. Au contraire, si l'on met canons, bombardiers et torpilles à l'ouvrage, quantité de biens de toutes sortes sont détruits, ce qui aide magnifiquement à rabaisser l'offre au niveau du pouvoir d'achat, en même temps que ça prépare de l'ouvrage de reconstruction qui va occuper le monde.
Puisqu'on place justement la fin de l'économique dans "l'occupation" du monde, quelle aubaine, la guerre, pour tous les pays civilisés où la machine contribue tant à "désoccuper" le monde !
Voilà pourquoi nous disons que lier l'argent uniquement au travail, c'est conduire à l'intervention excessive de l'État, avec tous les désordres qui en découlent.
Voilà pourquoi aussi la guerre devient le moyen idéal pour rétablir l'équilibre entre les produits dans les vitrines et l'argent dans les poches. Pour cela aussi que, plus il y aura de machines, si l'on maintient les règlements actuels, plus il y aura tendance vers la guerre, qui augmente l'argent tout en nivelant les excédents de choses et de travailleurs.
On sortirait plus humainement de la situation par le dividende social puisé dans un encrier pour augmenter l'argent directement dans les poches du consommateur, élevant le pouvoir d'achat au niveau des biens de consommation, des bonnes choses à vendre. C'est alors que la machine, au lieu de faire pousser la guerre, ferait pousser les dividendes à chaque membre de la société.
C'est pour cela aussi que nous disons que, si Hiler avait fait du Crédit Social, il aurait introduit dans le monde, par l'exemple d'un grand pays, une économie d'abondance dans la paix. L'humanité l'aurait salué comme un génie et honoré comme un grand bienfaiteur.
Mais le dividende, le Crédit Social, ne s'accorde pas plus avec une philosophie de naziste qu'avec une philosophie de banquier. Le dictateur de Berlin comme le banquier moderne s'emparent du crédit de la société et l'emploient dictatorialement, l'un à faire des canons, l'autre à endetter la société. Naziste et banquier méprisent la personne humaine. Les deux veulent dominer le monde. Culte de la race — culte du portefeuille. Un monde terrifié sous la gueule des cracheurs de mort — un monde agenouillé sous le poids de débentures ruinantes et impayables. Plie ou meurs — paie ou crève.
Ce n'est donc pas nous qui présenterons le système monétaire allemand comme un remède à notre système monétaire. Les deux sont aux antipodes de la liberté.
Mais, si elle ne répond pas à une philosophie humaniste, J'expérience allemande aura tout de même contribué à ébranler des piliers sur lesquels s'appuyait le conformisme qui nous paralyse et nous tue. Elle aura prouvé entre autres, que :
La prospérité ne dépend pas d'une perpétuelle balance de commerce favorable ;
Un instrument monétaire n'a pas besoin d'or pour accomplir son rôle ;
C'est le chômage de l'argent qui cause le chômage des hommes, et l'injection d'argent-nouveau ranime les activités générales ;
Avec une monnaie réglée pour les besoins du pays, il est possible de tenir ce pays à l'épreuve des dépressions.
Si le volume de l'argent réglé par l'État supprime la stagnation, la propriété de l'argent entre les mains de l'État oriente les activités et constitue une véritable dictature du gouvernement sur la vie économique — c'est remplacer la dictature bancaire par la dictature politique ;
Par déduction, l'argent placé à son origine entre les mains des consommateurs orienterait la vie économique d'après les désirs des consommateurs. Ce serait la démocratie économique du Crédit Social, sur laquelle fleurirait la liberté et contre laquelle se suiciderait toute velléité de dictature.