Banquiers et encycliques

Louis Even le mardi, 01 juillet 1941. Dans Banques, Catéchèses et enseignements

Sous le titre "Le Pape Léon XIII et les Banquiers", l'abbé F. H. Drinkwater écrit dans le Catholic Times du 9 mai 1941 un article expliquant pourquoi l'encyclique Rerum Novarum n'a pas été plus explicité sur la dictature de l'argent. Cette dictature, la dispensation du crédit au gré de quelques contrôleurs, n'existait-elle pas déjà en 1891 ? N'était-elle connue d'aucun des grands sociologues catholiques qui compilèrent les informations pour le Pape ?

Voici ce qu'écrit l'abbé Drinkwater :

« Une encyclique d'envergure ne descend pas tout droit du ciel, comme les langues de feu au jour de la Pentecôte. Elle est souvent le résultat final — ou peut-être seulement le résultat intérimaire — d'un long procédé d'étude, de discussions, de fermentation au sein de l'église sur un sujet particulier.

"Il en fut plus particulièrement ainsi dans le cas de Rerum Novarum. Depuis des années, on priait le Saint-Siège de donner aux fidèles une direction en rapport avec les troubles ouvriers, leurs causes et leurs remèdes.

"Depuis des années, un groupe de spécialistes catholiques, qui se rencontraient à Rome d'abord, puis à Fribourg, en Suisse, sous la présidence de Monseigneur Mermillod, étudiaient, se consultaient et tenaient le Souverain Pontife au courant de leurs conclusions. Lorsque l'Encyclique parut enfin, elle était, sous plusieurs rapports, basée sur les recherches faites et les faits présentés par le groupe de Fribourg.

"Sur un point cependant (mais un point capital), l'Encyclique désappointa ceux qui avaient espéré qu'elle couvrirait même ce domaine.

"Dans une phrase située presque au début de son encyclique, le Pape écrit :

Une usure dévorante est venue ajouter encore au mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l'Église, elle n'a cessé d'être pratiquée, sous une autre forme, par des hommes avides de gain, d'une insatiable cupidité.

"Ce fut tout. L'encyclique n'explique pas quelle est cette autre forme d'usure, et chacun restait libre d'interpréter l'expression comme bon lui semblait, ou simplement de l'ignorer à cause de son caractère énigmatique.

"Le groupe de Fribourg avait espéré quelque chose de beaucoup plus explicite dans le sens d'une réforme monétaire. Ses membres, surtout ceux qui venaient de Vienne, étaient très au courant du mode de création du crédit et des maux résultant d'un si grand pouvoir entre des mains privées."

Ici, l'abbé Drinkwater cite l'un de ces sociologues de Fribourg :

"Si nous ne réussissons pas à transformer notre système actuel de crédit, tous les autres moyens pour nous sauver du péril social seront une faillite."

Cette phrase fut écrite il y a cinquante ans. L'histoire nous démontre que les moyens employés ont été une faillite, parce qu'on n'a pas rectifié ce désordre fondamental.

Ceux qui avaient espéré voir le Pape réclamer la réforme d'abus financiers regrettèrent cette lacune.

L'abbé Drinkwater continue :

"Dire pourquoi cet aspect fut laissé de côté, ou plutôt réduit à une vague condamnation de l'usure sous une autre forme, exigerait plus de recherches qu'un individu peut en entreprendre. Ces recherches devraient peut-être porter particulièrement dans la correspondance (s'il en reste) du Cardinal Mermillod, qui fut le lien entre Fribourg et Rome à l'époque de la composition de l'encyclique."

Y eut-il intervention auprès des chefs de Fribourg ? Les informations compilées furent-elles transmises intégralement ? "Tout ce qu'on peut dire de certain, c'est que des obstacles furent placés à dessein quelque part."

L'abbé Drinkwater rappelle, en passant, comment la vérité sur l'argent est inévitablement étouffée. Des hommes comme l'évêque Berkeley, Abraham Lincoln, Gesell (on pourrait ajouter Douglas), ont compris l'action des puissances d'argent, mais, d'une manière ou de l'autre, leurs idées furent toujours rejetées dans l'ombre.

"Les maîtres de l'argent savent contrôler les sources d'information et l'autorité publique, sans mentionner leur contrôle des sources de revenu privé, et peuvent, de mille manières, réduire les critiques au silence ou les faire passer pour de simples charlatans.

"Même si le Pape Léon XIII avait parlé clairement, les puissances d'argent auraient trouvé le moyen d'étouffer l'effet de ses paroles. Si demain le Pape parlait clairement des puissances d'argent, ses paroles tomberaient mortes et sans écho dans le monde.

"Comment puis-je le savoir ? Parce que le Pape l'a fait ; il a parlé clairement, il y a dix ans, dans Quadragesimo Anno. Et qui a relevé cette partie de son encyclique, sauf quelques réformateurs de l'argent, la plupart des non-catholiques ?

"Si vous ne voulez pas me croire, regardez les différentes explications officielles de cette encyclique données par la Catholic Society, l'organisme chargé de cette fonction en ce pays. Vous serez étonné de son habileté à se servir de la pédale douce dès qu'il approche des indiscrétions du Souverain Pontife."

* * *

Nous sommes redevables au Social Crediter de Liverpool pour cette citation de l'abbé Drinkwater. Ne dirait-on pas le dernier alinéa écrit par un observateur canadien examinant ce qui se passe dans son propre pays ?

L'encyclique Quadragesimo Anno a été beaucoup plus explicite que Rerum Novarum sur l'argent et le crédit. Les banquiers des hautes sphères firent tout leur possible pour en empêcher la publication. N'ayant pu réussir, ils ont profité de toutes leurs influences pour faire limiter les exposés de l'encyclique à la réforme des mœurs et au corporatisme — c'est-à-dire à ce qui ne leur fait pas mal.

Le jeu continue.

Lorsque le R. Père Lévesque publia sa brochure, "Crédit Social et Catholicisme » il le fit d'abord par fragments dans "L'Action Catholique". Il n'avait pas fini que des politiciens lui faisaient dire que ses articles étaient inopportuns.

Quelle réclame aurait été faite à la brochure du R. Père Lévesque si les créditistes ne s'en étaient pas mêlés ?

Mais voici qui est plus récent et encore plus frappant.

On sait qu'en 1939, le Cardinal Villeneuve et les évêques de la province de Québec nommèrent une commission de neuf savants théologiens pour étudier le Crédit Social et dire si, oui ou non, il était entaché de communisme ou de socialisme.

L'étude se fit dans le plus grand secret. Les banquiers n'eurent vent de la chose avant de lire le rapport des théologiens dans la Semaine Religieuse de Québec et dans la Semaine Religieuse de Montréal (15 novembre 1939).

Ce document, sans précédent en ce qui concerne le Crédit Social, mit les banquiers sur les dents. Grand émoi dans l'Association des Banquiers. Leur publiciste, M. Vernon Knowles, fut prié de le traduire en anglais. Et voilà nos banquiers étudiant un rapport de théologiens ! Voyez-vous ces binettes à piastres penchées sur des extraits d'encycliques et des citations de saint Thomas !

Il serait intéressant de connaître le contre-rapport qu'ils durent présenter à l'autorité religieuse du pays. S'il y a sept dons du Saint-Esprit dans l'Église, n'y a-t-il pas un huitième don, sorti on ne sait d'où celui-là, pour les maîtres de l'argent et du crédit ?

Leur mécontentement a explosé. Et c'est le membre catholique et canadien-français de l'Association des Banquiers, M. Beaudry-Leman, qui s'est chargé de proclamer à la province que les théologiens s'étaient simplistement trompés.

On a vu la publicité dans NOS journaux de la province au discours du banquier.

Il aurait fallu, pour assouvir la vengeance de la clique du veau d'or, que les évêques désavouent le rapport de leurs théologiens.

Les banquiers furent-ils satisfaits de la déclaration des évêques à l'effet que la conclusion des théologiens n'était pas nécessairement la conclusion des évêques ou de l'Église ?

Nous ne le savons. Mais ce que nous savons, c'est que, si les créditistes n'avaient pas été là pour mettre 35,000 rapports des théologiens dans la circulation, le rapport serait oublié aujourd'hui sur les étagères où momifient les encycliques, et nos théologiens seraient restés sous le coup de la rebuffade d'un président de banque.

Influences, influences directes ou indirectes, influences aux étages inférieurs ou supérieurs, tout est mis en œuvre pour cacher la vérité lorsqu'elle blesse les banquiers. Le rapport des théologiens n'était pas paru depuis une semaine qu'on osa nous faire dire, à nous-même, — oh ! par l'entremise d'amis — de ne pas nous servir de ce rapport, de nous contenter de la publication faite dans les Semaines Religieuses ; sinon (il y a toujours une menace) il arriverait quelque chose de pire que les accusations renvoyées par les théologiens. Évidemment, nous n'avons pas tenu compte du conseil, puisque nous avons fait exactement le contraire.

* * *

L'article de l'abbé Drinkwater nous conduit à rappeler ces faits. Nous pourrions en ajouter plusieurs autres d'ordre moins étendu. Mais nous croyons en avoir assez dit. Nos lecteurs pourront eux-mêmes observer ce qui se passe. Ils ne tarderont pas, par exemple, à remarquer avec quelle célérité les influences interviennent pour souffler à quelqu'un qui parle trop fort, que sa position pourrait bien en souffrir, ou pour créer des tracas à un religieux, à un prêtre qui aura la distraction — ou le courage — d'oublier la pédale douce.

Tout cela se fait ordinairement très doucement, avec beaucoup de discrétion, par des intermédiaires et des intermédiaires d'intermédiaires, parfois sous le couvert de mobiles très respectables.

La tactique du diable a-t-elle beaucoup changé depuis qu'il voulait se faire adorer de Jésus lui-même, en citant les saintes Écritures ?

Louis Even

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