À qui le dividende ?

le dimanche, 01 janvier 1939. Dans Janvier

Par JOS.-ÉLIE BÉLANGER, B.A., M.D., L.C.M.C.

et JEAN-ÉLIE BÉLANGER, B.A., L.S.C.

Le pouvoir d'achat, ou simplement le revenu, des consommateurs, quels qu'ils soient, provient exclusivement des salaires et des dividendes, parfois sous divers noms.

Salaire et dividende

Le salaire est la rémunération partielle du travailleur pour son travail accompli. Je dis "partielle", parce que, dans toutes les catégories d'activités, la journée de l'ouvrier doit valoir pour le patron plus que la somme accordée en salaire. Autrement il serait impossible au patron de payer les frais généraux et d'avoir un profit.

Le dividende est "la portion d'intérêt ou de bénéfice qui revient à chaque actionnaire", dit le petit Larousse. D'après cette définition, pour avoir droit à un dividende, il faut donc être actionnaire, avoir une part quelconque dans le capital de l'entreprise. Le dividende n'existe pas toujours ; il faut qu'il y ait un surplus ou bénéfice constaté et déclaré par la direction. Comment les Créditistes peuvent-ils affirmer que chacun des habitants du Canada a droit à un dividende ? Voici :

Facteurs de production

Les économistes nous enseignent que, dans toute entreprise de production, il y a trois facteurs principaux : la nature, le travail et le capital. Ces trois éléments sont absolument nécessaires à la production. Cependant remarquons bien que le capital dont il s'agit ici n'est pas la monnaie, mais bien l'outil de production sous toutes formes : la hache, la charrue, la machine, le cheval ou le moteur mécanique, etc. Ne nous laissons pas tromper, la monnaie est absolument stérile par elle-même. "La monnaie ne porte pas fruit", dit saint Thomas d'Aquin. Lorsqu'elle a été appliquée à l'achat d'un outil de production, elle n'est plus là ; elle est allée payer le salaire ou les salaires de ceux qui ont fabriqué cet outil.

Capital réel

L'outillage, les bâtisses et dépendances demeurent appliqués à la production, et ce sont eux exclusivement qui forment le capital réel d'une entreprise. La fiction d'un capital plus ou moins gonflé n'est que le reflet, l'image comptable du capital réel, une simple entrée dans les livres. Les chiffres inscrits dans cette entrée ne sont qu'un élément de comparaison pour exprimer la valeur d'un travail antérieur. Car le capital réel est le produit d'un travail antérieur plus ou moins éloigné.

Il y a d'abord le travail appliqué à la fabrication physique de la machine, de l'outil de production, à la construction et à l'aménagement d'une usine. Ce travail est ordinairement récent, et c'est la valeur de ce travail qui est portée aux livres de l'entreprise de production.

Capital social

Mais ce n'est là qu'une bien faible partie de l'apport véritable. Pour le calcul des forces mises en jeu, de la résistance, de la composition et de la durée des matériaux, il faut remonter aux sources de tout notre système d'enseignement, il faut tenir compte de l'expérience, du travail des générations antérieures, des études poursuivies au cours de plusieurs siècles. Il faut compter depuis les rudiments de l'école primaire, les principes d'Archimède, les théorèmes d'Euclide, tous les développements de la science et des découvertes modernes, tous les trésors de la chimie et tous les perfectionnements récents. Tout cet ensemble contribue à la production qui alimente nos marchés. En un mot, pour la production moderne, il faut nécessairement utiliser le capital social, l'ensemble des connaissances qui forment notre civilisation.

Exemple

Prenons un simple exemple. Supposons qu'un ouvrier entreprenne seul de fabriquer une automobile. S'il possède les connaissances acquises à l'école primaire, il a déjà fait un emprunt du capital social. Muni de ce faible capital, il peut aller plus loin, mais son entreprise, disons-le immédiatement, est absolument impossible. Il lui faudra apprendre les qualités des matériaux, comment extraire le fer des mines, comment le traiter et le transformer en acier. Il devra ensuite se procurer tous les autres matériaux avec leurs qualités propres. Sera-t-il alors bien avancé ? Il le sera peut-être en âge, mais son automobile ne sera encore qu'un rêve. Il lui faut encore apprendre la chimie, la mécanique, les hautes mathématiques, toute la physique, y compris les mystères de l'électricité, compléter ses notions de métallurgie, etc. etc. Il lui faudra concevoir tous les modèles, tous les outils de production, les appareils, les procédés, etc., puis acquérir de l'expérience dans toutes les étapes de la fabrication.

Comment pourra-t-il acquérir toute cette science, en supposant que cela soit possible dans le cycle d'une vie humaine ? En ayant recours au capital de la société dont il est un simple membre ; donc en empruntant sur la masse du capital social.

Lorsque Ford entreprit de changer le modèle de ses automobiles, vers 1930, avec l'expérience acquise, avec tout son outillage perfectionné et ses usines modèles, avec son armée d'ingénieurs et de techniciens, la première voiture sortie de ses ateliers coûtait $2,000,000.00. Pourtant il n'utilisa pour cette voiture que la partie du capital social qui se trouvait accessible dans ses ateliers. Or c'est justement ce capital social qui est le facteur le plus important dans la production. C'est lui qui a permis à l'homme de faire disparaître la disette et de créer les surplus de tous genres qui caractérisent notre époque. J'oserai dire qu'il faudrait attribuer au capital social au moins 90% de ces énormes surplus.

Autres exemples

Prenons quelques exemples historiques pour saisir mieux encore la puissance ou la valeur du capital social.

Nous avons un énorme surplus de blé, et la statistique prévoit que la seule récolte mondiale de 1938 donnera un surplus de 400,000,000 de boisseaux. Ce surplus résulte manifestement de l'industrialisation des cultures, du "Wheat Mining", pour employer une expression locale.

La France et l'ingénieur De Lesseps tentèrent de percer l'isthme de Panama, mais le capital social du temps n'était pas suffisant. Un simple microbe déjoua tous les calculs et anéantit les travailleurs. Les Américains ont repris l'entreprise avec un nouvel apport du capital social ; les dernières découvertes dans le domaine de la médecine et de l'hygiène ; et maintenant tous peuvent admirer le canal de Panama, gigantesque monument de la coopération sociale, du travail guidé par la science.

Pendant plus de vingt siècles, les Marais Pontins ont vicié les campagnes romaines. À côté de Rome, la capitale du monde, tout près de la ville la plus fameuse, il y avait depuis toujours une superficie de près de 300 milles carrés qui servait de refuge aux voleurs et aux brigands, qui répandait des miasmes délétères, source de maladies diverses. Jules César fit préparer des plans pour leur assainissement. Théodoric le Goth, et plus tard le pape Boniface VIII firent exécuter certains travaux. En 1417, le pape Martin V fit creuser un canal, puis vers 1778, Pie VII employa des milliers de travailleurs pendant dix ans. Tous ces travaux restèrent à peu près nuls. En appliquant les forces modernes de la civilisation, Mussolini réussit en peu de temps à transformer ces fameux marais en plaines fertiles dont le rendement a même dépassé celui de nos prairies canadiennes. Encore un surplus créé grâce au capital social, au machinisme moderne.

Contrastes

Mentionnons en passant le taylorisme, le système D et autres méthodes modernes de la division du travail, de la coopération entre ouvriers sous une direction scientifique. Ces méthodes font disparaître les déficits, activent singulièrement la production et créent des surplus. Elles ne sont cependant que l'heureux épanouissement de notre système d'enseignement, l'application pratique de la science aux simples événements de notre vie journalière ; elles ne sont qu'une section du capital social.

Par contre, voyons les piètres résultats donnés par les efforts presque isolés des colons qu'on envoie végéter dans les centres dits de colonisation. Pourquoi ne pas adopter les méthodes modernes, la coopération, la division du travail sous direction efficace, pour effectuer les défrichements ? On le fait bien pour la construction des routes. Tant que la colonisation restera une entreprise individuelle, un travail des temps de disette et de misère, les résultats ne seront pas plus brillants.

Faisons encore un autre rapprochement. Connaissez-vous quelque surplus qui nous vienne des pays de mission ? Des peuplades de l'Afrique, par exemple ? Les lettres de nos missionnaires nous décrivent la disette, la faim, la misère qui les entourent, et ces lettres disent la vérité. Le capital social de ces peuplades est à peu près nul, et, par suite, les surplus de production sont inconnus.

Par contre, considérez la fertilité, les surplus énormes du domaine colonial français en Afrique. Ce domaine s'agrandit d'année en année en colonisant le fameux désert du Sahara. À mesure que la civilisation avance dans le désert, le travail soutenu par le capital social, c'est-à-dire guidé par la science, crée des surplus de biens utiles. On vient de décider la construction du chemin de fer Alger-Le Cap, c'est-à-dire sur toute la longueur du continent africain. Cette construction, impossible autrefois, est maintenant réalisable, grâce à la radio, à l'aviation et aux autres découvertes modernes, c'est-à-dire grâce à l'énorme accroissement récent du capital social. On peut facilement prédire que dans quelques décades l'immense désert du Sahara ne sera plus qu'un souvenir historique comme les Marais Pontins de la campagne romaine.

On pourrait citer par milliers des exemples de ce genre, tous montrant la part prépondérante prise par le capital social dans le rendement des diverses activités humaines, surtout dans la production des surplus. Il suffit de réfléchir quelques instants pour saisir la relation de cause à effet entre le capital social et la surabondance de biens réels qui se trouvent disponibles dans le monde pour satisfaire les consommateurs.

À qui ce capital social ?

Mais puisque ces surplus résultent du capital social, chacun des membres de la société se trouve actionnaire, et a droit à la répartition de ces surplus, donc à un dividende, tout comme chacun des actionnaires d'une entreprise à droit à un dividende quand cette entreprise déclare un surplus ? Sans aucun doute ! Mais il faut que la direction de l'entreprise déclare un dividende. En Canada, où le surplus est si évident et si riche, il faut faire déclarer puis distribuer ce surplus par le gouvernement, et c'est ce que veut le Crédit Social. Nous croyons que notre système bancaire actuel est aussi néfaste que les Marais Pontins. Nous croyons aussi que le Crédit Social peut transformer tout cela en appliquant simplement la logique de la civilisation moderne, les perfectionnements du capital social.

À qui le dividende ? À tous et à chacun des membres de notre société canadienne, parce qu'il leur est dû et parce qu'il est nécessaire pour donner, comme le réclame l'encyclique "Quadragesimo anno" : "À tous, et à chacun, tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie ont le moyen de leur procurer."

 

JOS.-ÉLIE BÉLANGER, M.D.,

203 Laurier, Hull


L'étranger qui vient chercher emploi au Canada est mal venu : on l'appelle immigrant et on lui barre l'entrée parce qu'il y a chômage chez nous. L'étranger qui vient au Canada pour consommer nos produits est bienvenu : on l'appelle touriste et on lui ouvre les portes à deux battants parce qu'on manque de consommateurs solvables. Cela dénote-t-il un problème de production ou un problème de consommation ? ─ La réponse de M. Beaudry Léman nous intéresserait.

∗ ∗ ∗

Le taux de prêt d'argent des banques a plus que doublé en Angleterre du 1er au 30 septembre dernier, M. Charles Gordon de Montréal, nous prévient que les taux bas actuels ne peuvent durer toujours. Comme, d'autres part, les banquiers nous disent, quand ils ne sont pas en mal de mensonge, que les banques créent la monnaie par une simple entrée, comptable, nous leur demanderons poliment qu'est-ce qui a augmenté de prix, l'encre ou la plume dont ils se servent ?

Sans doute quelque déséquilibré, ou mal intentionné, va nous faire dire que nous favorisons l'immigration ou que nous condamnons le tourisme.

∗ ∗ ∗

La chose qui embête le plus les gouvernements aujourd'hui, c'est le capital humain ; il leur est à charge, ils préféreraient de beaucoup du capital argent. Aussi peut-on s'attendre à ce que l'ordre social continue de punir les familles nombreuses et que nos gouvernants continuent de se traîner à genoux devant Rothschild Brothers, Lazare & Frères, ou simplement devant les avortons internationaux de Montréal et de Toronto.

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.