Chronique Médicale - XII - Le Cancer et les Vitamines

Dr Jos.-Élie BÉLANGER, B.A., M.D., L.C.M.C. le mercredi, 01 janvier 1941. Dans Chronique médicale

4. — Les vitamines

Dans les deux dernières chroniques, j’ai résumé deux observations cliniques pour prouver “d’une façon irrévocable” l’action néfaste de l’alcool sur nos réserves de vitamines. Les médecins de Paris et les médecins de Montréal sont d’accord sur ce point capital. Mais il semble y avoir entre eux une légère différence d’opinion au sujet du mode d’action de l’alcool. Voici ce que disent les médecins français:

Les auteurs rappellent la conception étiologique qu’ils avaient émise il y a quelques années: la polynévrite alcoolique ne résulte pas de l’imprégnation directe des nerfs par l’alcool, mais d’un déséquilibre “vitaminique”.

Et ils emploient de très fortes doses, ajoutant plus loin:

Mais cette efficacité ne pourra se montrer que si le traitement est précoce, c’est-à-dire mis en oeuvre avant que des lésions irréversibles soient constituées. Voici maintenant ce que dit le Dr Roma Amyot, dont l’opinion paraît acceptée par ses confrères mentionnés au cours de la discussion:

La dose de dix milligrammes par jour est raisonnable dans les cas de névrite alcoolique ou d’autres névrites dans lesquelles l’avitaminose par carence est en cause. Je me demande si des doses plus fortes feraient un meilleur effet. Car il faut donner le temps aux nerfs de repousser. Donc, les nerfs seraient directement lésés, et il y a eu imprégnation directe des nerfs par l’alcool.

Je suis d’avis qu’il s’agit ici d’une question de degré et de doses. Il y aurait d’abord “déséquilibre vitaminique”, puis “imprégnation directe”, si les doses sont assez fortes ou répétées fréquemment. Les médecins français craignent les lésions irréversibles ou définitives, tandis que les médecins de Montréal sont plus persévérants, et, avec le temps, réussissent à guérir même ces lésions.

Je mentionne cette apparente différence, parce qu’elle met bien en lumière l’action néfaste de l’alcool.

Voyons maintenant la vraie formule pour l’usage de l’alcool. On prétend souvent que l’alcool, étant un hydrate de carbone, joue le rôle d’un aliment producteur de chaleur. D’abord, il est évident que ce n’est pas un aliment complet. Voyons sa valeur comme hydrate de carbone.

La formule chimique de l’alcool est: C2H6O. Pour oxyder ou brûler une molécule d’alcool, il faut 6 molécules d’oxygène. Le carbone est transformé en acide carbonique, prenant pour cela 4 molécules d’oxygène; les 6 molécules d’hydrogène prennent trois autres molécules d’oxygène pour former de l’eau. Comme il y a déjà une molécule d’oxygène dans la formule, il en manque donc 6. Or, la somme des poids atomiques de l’alcool, d’après la formule, est 46, et les 6 molécules d’oxygène qui manquent pèsent 96. Pour oxyder complètement 46 grammes (environ 1 ½ once) d’alcool, il faut donc 96 grammes d’oxygène. Mais il faut respirer plusieurs heures pour absorber ce poids d’oxygène : celui-ci ne représente que 21% de l’air que nous respirons ; de plus le volume d’air aspiré à chaque mouvement respiratoire n’est utilisé que dans la proportion d’un cinquième, le reste étant expiré immédiatement. Comme l’alcool est absorbé très rapidement, au bout de quelques minutes, il y a retard entre l’entrée de l’alcool et l’apport nécessaire d’oxygène, ou bien l’oxygène servant à oxyder l’alcool est enlevé aux tissus, d’où gène de la respiration cellulaire. Cela signifie que l’alcool circule dans le sang sans être transformé et peut ainsi corroder les éléments essentiels et les organes internes avant d’être lui-même brûlé. C’est un hydrate de carbone qu’il faut, à cause de la rapidité de sa diffusion, classer avec les stupéfiants comme l’éther, le chloroforme, l’aldéhyde et divers gaz, qui sont aussi des hydrates de carbone. C’est donc un mauvais aliment dont on doit scrupuleusement mesurer les doses, sous peine de bloquer la respiration cellulaire par accaparement de l’oxygène dans le sang.

Je ne crois pas que ces calculs aient déjà été publiés, mais il suffit d’y penser, car c’est de la chimie et de la physiologie élémentaires. On peut comparer l’action de l’alcool dans le corps humain à celle du bois vert dans un poêle: nombreux produits secondaires, fumée épaisse, encrassement des conduits, et production de chaleur seulement avec un tirage accéléré. L’alcool est un mauvais aliment comme le bois trempé d’eau est un mauvais combustible.

Comme complément ou adjuvant de la nutrition, il se trouverait classé avec le sel, le poivre, l’oignon, l’ail, le vinaigre, les cornichons, etc., et l’on sait que la dose de ces condiments doit être faible, si l’on ne veut rien gâter.

Enfin, on a exalté les vertus de l’alcool et ses applications multiples comme médicament. Il est assez singulier de constater que les pharmaciens, en dépit de leurs longues études, sont empêchés par la loi de prescrire quelque médicament que ce soit, et que les fabricants et marchands d’alcool sous toutes ses formes prennent le droit de le prescrire dans les journaux, à la radio et sous tous les genres de publicité. Il y a là une infraction à la loi médicale, mais personne n’ose attaquer la dictature de l’alcool.

Oui, l’alcool est parfois un médicament utile, mais voici la vraie formule pour son usage : Attendez que votre médecin vous le prescrive, et suivez scrupuleusement les doses thérapeutiques et les restrictions qu’il vous indiquera. J’ai dit : attendez, et n’allez pas forcer un consentement quelconque. Je dis aussi: dose thérapeutique, de préférence à l’expression: dose physiologique. La physiologie traite des fonctions normales de l’organisme, et tout ce qui est nécessaire peut avoir une dose physiologique, comme les vitamines, etc. Mais comme l’alcool n’est nullement nécessaire à la vie, il ne peut avoir de dose physiologique. On veut probablement dire par cette expression la dose de rupture d’équilibre, analogue à la tension de rupture en mécanique. Le terme dose physiologique est donc une expression trompeuse, comme tout le reste, ou à peu près, des annonces au sujet de l’alcool.

Comme on le voit, la solution est bien simple, et si on voulait l’appliquer, le problème de l’alcool serait résolu définitivement.

(Reproduction autorisée)

Dr Jos.-Élie BÉLANGER, B.A., M.D., L.C.M.C.

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.