Cette cinquième colonne

le samedi, 01 février 1941. Dans Autres

C'est donc, bien entendu maintenant : ce sont les banquiers qui mettent l'argent au monde. Eux alors qui, en définitive, financent la production et les gouvernements. Certains ont boudé cette vérité tant qu'ils ont pu. Personne n'ose plus sérieusement la contester.

Notre ministre des finances doit faire pour quelque deux ou trois millions de dollars de chèques par jour, en moyenne, pour financer l'effort de guerre du Canada. Cet argent, à sa naissance, ne coûte au banquier autre chose qu'un peu d'encre et l'usure du bout de sa plume, pour inscrire dans les colonnes de son grand-livre une première hypothèque sur le pays, sur nous tous. Pourquoi alors le banquier ne double-t-il pas la somme pour mettre en branle des activités disponibles non utilisées, s'il veut réellement nous faire gagner la guerre ?... Voilà ce qui se dit un peu partout dans la province.

C'est qu'en effet, il y a encore beaucoup de chômage. Beaucoup de main-d'œuvre et de ressources attendent toujours de l'emploi.

Remarquons aussi, en passant, que notre province supporte plus que sa part de ce chômage. C'est un journal libéral, Le Canada, qui écrivait le 15 janvier : La province de Québec, à elle seule, renferme 50.2 pour cent de tous les chômeurs du Canada.

Pourquoi notre province, à elle seule, doit-elle comprendre plus de la moitié des chômeurs de toute la confédération ? Veut-on pousser à bout la vertu de patience qui nous caractérise ?

N'y a-t-il pas là conspiration pour soulever ces pauvres gens, réduits à vivre dans des taudis, parce qu'ils n'ont pas de pouvoir d'achat, parce qu'ils ne peuvent obtenir l'argent qui coûte si peu à mettre au monde, parce qu'ils ne peuvent vendre la force de leurs bras malgré toute leur bonne volonté ?

Et l'injustice ne frappe pas que les chômeurs et les petits salariés des villes. Vu que les gens en grand nombre manquent de pouvoir d'achat, les cultivateurs en sont rendus à vendre leurs produits au-dessous du prix coûtant, même en n'évaluant leur travail qu'à un salaire de 50 sous par jour !

Moi, j'en suis venu à la conclusion qu'il y a une cinquième colonne à l'œuvre pour dégoûter les Canadiens du régime qui mène le Canada, pour tuer tout idéal dans les cœurs et nuire ainsi à notre effort de guerre. Pour défendre un régime, il faut l'aimer. Vraiment, je crois qu'il est temps d'attirer l'attention des autorités sur cette cinquième colonne.

Les banquiers ne veulent pas gagner la guerre. Ou du moins, ils retardent la victoire par leur action. Ils sont bien plus intéressés à tenir les poches vides, à maintenir leur pouvoir sur les hypothéqués, à continuer d'endetter le pays, qu'à fournir à l'État le moyen d'avoir à la fois : 1° des munitions de guerre en abondance ; 2° une population hygiéniquement nourrie et logée, capable d'entretenir l'armée des travailleurs comme l'armée des combattants.

Qui n'admet, aussi, que la famille est la véritable cellule constituante de la nation ? Et si l'on n'a pas des lois d'inspiration patriotique, des lois tenant compte des besoins élémentaires des familles nombreuses, on va assister, bien plus sur le front intérieur que sous les bombes de l'ennemi, au démembrement de nos familles, au sabotage de la natalité, à l'anémie de notre population. Et pourquoi ? Pour respecter des chiffres, pour respecter des règlements qui placent le capital-argent au-dessus du capital humain. On reproche à Hitler de ne pas faire cas des vies humaines. Quel cas en fait notre système d'argent raréfié ? N'est-il pas temps de redresser un désordre qui affaiblit notre cause ?

Pour commencer, pourquoi ne pas verser à toutes les familles un dividende national proportionné au nombre de ses membres ? Oh ! pas une fortune pour chacun, mais au moins ce que la société protectrice des animaux exigerait pour un moyen chien de race. Cela coûterait moins cher et rapporterait bien davantage à la nation que l'intérêt payé au banquier.

Sous le coup des grandes menaces qu'on nous décrit, n'est-il pas opportun de placer toutes les forces au service de la nation ? Même les forces bancaires ! Alors pourquoi seulement deux ou trois millions par jour pour gagner la guerre ?... C'est mesquiner... Les banquiers pourraient faire beaucoup mieux, puisque, environ une semaine après leur émission, tous les chèques sont rentrés sains et saufs.

Espérons que, bientôt, nos chefs ouvriront les yeux et mettront à la raison les cinquièmes colonnes qui servent le crédit au compte-gouttes, paralysant ainsi le patriotisme et l'amour du patelin familial, inspirant des taxes élevées au point où Baptiste commence à s'écrier : Bonhomme, qui donc est maître dans ta maison ?

G.-R. GILLET, Président de la Ligue des Patriotes de Québec

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